100 Miles Sud de France : le debrief

Quelle expérience !! C’était une distance nouvelle pour moi et j’ai terminé en 41h48′ … Je ne vous cache pas que je suis très fier et qu’il va me falloir quelques temps avant de toucher à nouveau terre Mais le temps réalisé est finalement anecdotique. Le plus important à mes yeux est l’expérience vécue d’une densité extraordinaire et toutes les leçons que j’ai pu en tirer. Des leçons purement sportives mais aussi des leçons de vie …

Avant de me lancer dans un récit qui sera forcément très émotionnel, je voulais d’abord faire un retour plus factuel sur ce que j’ai appris pendant ces presque 42h.

Le cadre

J’ai enregistré pour mon club de course d’orientation une dizaine de petites plages audio de trente secondes sur WhatsApp pour leur donner une idée du déroulé de la course. J’en ai fait une compilation sur SoundCloud et je vous la partage ici :

On commence par les chiffres

J’ai beaucoup bu d’eau plate et je rechargeais mes gourdes d’environ 1 litre à chaque ravitaillement –> 15 litres

A chaque gros ravitaillement, je buvais environ 500ml de coca / soupe au vermicelle / bouillon –> 5 litres

J’ai très très vite saturé des barres « king size » type Cliffbar et mon régime s’est vite transformé en mini-repas toutes les 3 heures (sandwich jambon/fromage ou bol de pâtes ou purée de patate douce maison) et des « friandises » juste pour le plaisir en bouche entre les ravitaillements (pâtes de fruit, bonbons, pâte d’amande). Je n’ai pas tant mangé que ça : 7 sandwichs, 4 bols de pâtes, 500g de purée de patate douce.

Au final, je ne perds qu’un kilo et demi avec cette course … que j’ai repris trois jours après.

Les pieds

Quelle chance de n’avoir eu quasiment aucun souci pendant 42h !! Oui c’est une chance et je l’ai réalisé quand j’ai doublé un concurrent quittant la base du Perthus, clopinant péniblement, marqué par la douleur. Il me regarde avec toute la détresse de celui qui est conscient que sa fin est proche : « j’ai 5 ampoules à chaque pied et c’est horrible ». J’ai eu beaucoup de peine pour lui …

C’est une chance, certes, mais pas un hasard non plus : j’ai suivi scrupuleusement le protocole que je décris ici et ça a parfaitement fonctionné. J’ai juste eu quelques échauffements au niveau des gros orteils et de l’arrière des talons. Je changeais de chaussettes à chaque base de vie et je me badigeonnais de crème NOK.

Les Hoka ont parfaitement fait leur travail sur toute la partie technique jusqu’à Roc de France au kilomètre 115. Elles ont atteint leur limite sur les 25 kilomètres suivants très roulants jusqu’au Perthus : je les ai courus intégralement et à la fin j’avais l’impression de marcher sur l’os tant le pied n’amortissait plus rien. Les douleurs étaient plus osseuses à cause des choc répétés qu’épidermiques – pas de frottement de l’épiderme sur le derme.

De plus, quinze jours avant, je suis allé chez mon podologue préféré pour un soin des pieds : curetage des durillons, retrait  des peaux mortes et découpe des ongles à la bonne longueur. J’avais une peau parfaitement lisse et sans accroche.

Le sommeil

J’avais vraiment dans l’idée de dormir 10′ chaque fois que les premiers signes de sommeil apparaissaient. Sauf qu’en pratique ce n’était pas toujours possible : quand à 2h du matin la première nuit j’ai eu les yeux qui ont commencé à se croiser, il m’était parfaitement impossible de m’arrêter. En effet, j’étais à 1700m d’altitude sur le balcon entre Cortalets et Batère. Il faut imaginer un chemin large d’1,5m en moyenne avec une paroi rocheuse d’un côté et le vide de l’autre. Et au sol, des cailloux et des racines s’enchainent en un interminable ruban, rendant la course particulièrement difficile. Et la zone était balayée par le vent, le taux d’humidité était très élevé et les températures étaient à peine positives. Dans ces conditions, je me suis battu pour rester éveillé à coup d’exercices respiratoires forcés et de monologues à haute voix – j’étais seul – mais l’enchainement répétitif des difficultés m’abrutissait et deux heures à ce régime m’ont vidé de mon énergie.

Je n’ai pas voulu m’arrêter à Batère – trop humide. J’ai donc poussé 15km plus loin, soit 2h30 de plus, en plein brouillard. Et là, même effet d’abrutissement dû à la difficulté à trouver le bon chemin avec une visibilité à 10 mètres et une frontale aveuglée par les gouttelettes en suspension.

La délivrance est arrivée à 8h à Arles, soit 6h après les premiers signes de fatigue. La base de vie est magnifique et j’ai eu droit à un dortoir pour moi tout seul. J’ai dormi 30 minutes dans le calme. J’étais très agité. Je n’ai pas mis de réveil et j’ai ouvert les yeux d’un coup en me rappelant que je participais à une course après être parti bien loin dans un monde onirique perturbé

Je sais que pendant ces 6 heures mon rendement est allé descrescendo et quand je regarde Strava, je vois bien que je fais mes kilomètres les plus lents dans la descente de Batère – pour les curieux, je regarde la colonne VAP, la Vitesse Ajustée selon la Pente.

Ma deuxième pause sommeil est intervenue en fin de deuxième journée au Perthus. Je m’étais donné comme objectif le matin en quittant Arles d’arriver à la base du Perthus avant la nuit. Objectif réussi mais je me suis beaucoup employé pour cela et les deux dernières heures étaient de trop. Je me suis allongé sur un lit de camp le long d’un mur de la salle principale, agressé par les mouches et les bruits des autres personnes dans la salle. Impossible de dormir. Si ma tête n’a eu qu’un repos très relatif pendant ces 10 minutes, mon corps s’est complètement détendu et j’ai pu me relâcher après …

J’ai donc dormi 30′ et 10′ en tout.

Était-ce rentable de s’arrêter longtemps ?

Contrairement à beaucoup d’autres, je faisais des pauses très longues et je repartais systématiquement après ceux que j’avais doublé dans le tronçon précédent. Pour donner quelques exemples :

  • Base de vie au Vernet (km 55) : 1h
  • Refuge des Cortalets (km 65) : 30′
  • Base de vie de Arles (km 93) : 1h30
  • Base de vie du Perthus (km 135) : 1h

Et je passe sur tous les ravito intermédiaires où je m’arrêtais entre 10′ et 15′. Au final, on pourrait dire que j’ai perdu beaucoup de temps. Oui mais …

… je rattrapais ensuite à nouveau tous ceux que j’avais doublé avant dans les deux heures qui suivaient … et j’en doublais ensuite bien plus encore …

Pour l’exemple, j’arrive à Arles en même temps qu’un couple qui ne s’arrêtent que 30′. Je repars une heure après eux. Quand je les rattrape dans la montée de Roc de France trois heures après, ils sont marqués par l’effort et n’avancent plus alors que je me sens en pleine possession de mes moyens. Et plus je double, plus j’entretiens mon moral ! Mon mantra « Patience, Seb, patience » m’a beaucoup aidé

Donc c’était rentable !

Pourquoi « piloter » au cardio était fondamental ?

Je m’étais donné comme principale ligne de conduite de ne pas dépasser 150 en fréquence cardiaque en essayant même de viser entre 140 et 145 autant que possible.

Pourquoi ce chiffre ?

Parce qu’il correspond à 70% de ma réserve de fréquence cardiaque, autrement dit mon seuil lipide/glucide : en-dessous, je puise dans les graisses de mon corps. Au-dessus, il me faut un apport glucidique régulier sans lequel mon corps s’épuise.

Mon expérience du trail du Mont Cenis début août était encore dans ma tête : j’avais passé 16h au-dessus de ce seuil et aux deux-tiers de la course j’étais épuisé. Le cœur ne redescendait plus et tout était devenu un calvaire. Je ne voulais pas reproduire ça sur une distance double.

Évidemment avec un départ à profil descendant sur 10 kilomètres depuis Bolquère, le peloton est parti très vite et beaucoup devait être en surrégime. Avec ma contrainte de cardio à 150 max, je me suis retrouvé rapidement dans les 5 derniers, puis dernier jusqu’au refuge de l’Orri au kilomètre 17. Je n’ai pas voulu déroger à cette règle même si mentalement, je me suis posé mille questions.

C’est dans la première vraie difficulté du jour au kilomètre 20 – 700 mètres de montée vers le col de Mitja à 2460m – que j’ai compris que j’étais dans le juste. J’avançais comme une limace mais autour de moi, les concurrents craquaient un par un alors que je me sentais très serein. Eux s’arrêtaient tous les cinquante mètres alors que je tenais un rythme très régulier.

Et miracle !! Dans la montée vers les Cortalets au kilomètre 55, après 12h de course, le rythme cardio a plafonné vers 140/145 et j’ai enfin pu commencer à pousser sur mes cuisses jusque-là préservées sans fatiguer mon cœur pour autant. J’étais prêt pour avaler tout le reste de la course avec la plus grande des sérénités Il ne me restait plus qu’à gérer mon capital musculo-squelettique et l’appareil digestif, ce qui n’est pas une mince affaire en soi mais j’avais simplifié le problème !

Aurais-je pu aller plus vite ?

En course pure, je ne vois pas comment sans me mettre en péril et entrer dans la zone rouge au risque de cramer mes forces.

Sur les arrêts prolongés aux ravitaillements peut-être. En grappillant 5′ ici ou là sur des arrêts pas très optimisés, j’aurais pu terminer une demi-heure plus tôt, mais ma famille était là et profiter de leur soutien n’avait pas de prix !! Ce n’est même pas mesurable

Au passage, j’attire votre attention sur l’énorme avantage que m’a procuré mes années de pratique en course d’orientation à traverser en courant des zones défoncées où les appuis au sol sont très délicats. De Planès au kilomètre 13 jusqu’à Roc de France au kilomètre 115, on a dû traverser des terrains majoritairement techniques avec des alternances de racines et de cailloux glissants et pas toujours stables. Même s’il est difficile de courir dans de tels terrains, rien qu’à la marche je déposais les concurrents autour de moi. A niveau équivalent, j’évalue le gain de progression à 3 heures sur une telle distance. De quoi passer sereinement les barrières horaire …

Et la VFC dans tout ça ?

Pour rappel, on parle ici de Variabilité de Fréquence Cardiaque.

Je n’ose même pas vous montrer les courbes tellement ce qui s’est passé est étrange !! Je suis arrivé plutôt en forme à Font-Romeu quelques jours avant le départ. Et plus le temps passait, plus je gambergeais, plus la peur me gagnait et j’ai vu mes paramètres de VFC s’écrouler de jour en jour au point de ne plus avoir de souffle du tout. C’était comme si le corps se mettait en veille. C’était comme si une force supérieure m’ordonnait de ne plus rien faire pour sauvegarder mon organisme autant que possible avant de lui faire subir deux jours d’effort démesuré.

J’avais peur, non pas de la distance elle-même, mais de ne pas être à la hauteur et de me laisser submerger par ce départ que j’imaginais trop rapide.

Le jour J, ça n’a pas loupé : rien dans les jambes, le souffle court et le palpitant au taquet. La suite, vous la connaissez dans les grandes lignes.

Reprise de mes mesures le lendemain de la course : j’obtiens mes meilleures valeurs depuis les deux dernières semaines et j’ai un niveau d’énergie qui oscille entre le très haut et le très bas en quelques minutes. Trois jours après, je suis toujours aussi haut et je n’ai plus de point bas. Le cœur n’est pas fatigué et le système nerveux est sain. Je me sens quand même à plat à cause du sommeil complètement détraqué et du rhume persistant que j’ai attrapé.

Pour moi, ces valeurs reflètent l’état émotionnel avant/après : la peur transformée en joie et sérénité. Quasiment un sentiment chimérique d’invincibilité. Est-ce que les endorphines ont aussi un tel effet sur le système nerveux au point de me duper et de me faire croire que je pourrais reprendre le sport dès maintenant ? Peut-être …

De l’avantage d’avoir reconnu le parcours avant

J’ai un ami qui me dit sur le ton de la boutade : « c’est tricher ». Moi je dis, c’est prendre une assurance « finisher » et augmenter significativement ses chances d’aller au bout. Pourquoi ?

Parce que lorsque le jalonnage est défaillant, on sait compenser avec la connaissance que l’on a du terrain : je n’ai pas paniqué lorsque les jalons avaient disparu sur 4 kilomètres après Planès. Je n’ai pas paniqué non plus au Col de la Cirère dans le brouillard épais lorsque je ne voyais absolument pas quel chemin prendre pour descendre sur Batère.

Parce que lorsque le moral flanche, on sait dans combien de temps surviendra la délivrance avec le prochain ravito.

Parce qu’on sait quels sont les tronçons où il faudra s’engager et avoir de la fraicheur et quels sont ceux où l’on pourra relâcher la pression et se divertir. Parce que l’on peut ainsi élaborer une stratégie et la faire évoluer en fonction des aléas de la course.

Parce qu’on a des points de repères temporels réalistes. A Vallée Heureuse en bas de la descente du Neulos à 20 kilomètres de l’arrivée, je croise une femme très fatiguée qui pense mettre deux heures pour rejoindre l’arrivée. Les bénévoles n’étaient pas de meilleur conseil et tente des conjectures farfelues. J’annonce que dans son état elle mettra entre 5 et 6 heures et que je pensais en mettre un peu moins de 5. Tout le monde m’a ri au nez. Au final j’ai finalement mis 4h30 avec un dernier tronçon en boulet de canon : Juliette Blanchet, 1ere féminine et 4e au scratch ne me met que 10 minutes sur les quinze derniers kilomètres. Et encore, je m’arrête pour téléphoner et faire quelques pauses pipi

La connaissance est un atout incroyable : elle donne la confiance et la vision là où tout le monde est dans le doute et le questionnement. Grâce à elle, on maintient son moral à flot et on se sent prêt à affronter l’imprévu avec sérénité.

A très vite pour le récit de la course …

 

 

6 réflexions sur « 100 Miles Sud de France : le debrief »

  1. Salut Seb, merci pour ce premier debrief et bravo encore pour ta gestion de course… Et le passage de la ligne d’arrivée. J’adore ton expression « Sentiment chimérique d’invisibilité », tellement elle me fait penser à ce que j’ai vécu, et que je ne savais pas formuler après l’Euskal du printemps dernier. A très bientôt

    1. Salut Alain
      Merci beaucoup C’est vrai qu’on en parle jamais mais on traverse plusieurs étapes après un ultra, qui varient selon que l’on a terminé ou non, selon le degré de plaisir pris. Quand les endorphines ont inondé notre corps pendant des heures, on surfe sur un petit nuage encore pendant quelques jours. Vient ensuite la phase de blues quand elles disparaissent, puis la perte du sens et des valeurs des choses simples du quotidien. Ça peut durer plus ou moins longtemps et il vaut mieux être bien entouré pour ne pas sombrer !! A bientôt !

  2. Dans ton récit, on ressent la maîtrise de tous les paramètres de course. Tu me donnes tout un tas d’axe de progression. Quel chance j’ai eu de tomber sur ton site ! Merci pour tout ce que tu partages.
    Encore bravo pour ta course, pour ta gestion, pour ton debrief et surtout merci

    1. Merci Yann pour ce retour qui me fait très plaisir Heureux que tout ceci puisse t’être utile, c’est vraiment le but premier de ce blog : donner espoir à tout coureur « lambda » (j’en suis un) désireux de devenir finisher d’un ultra un jour …

  3. Merci Seb pour cet article – comme plein d’autres – extrêmement riche d’enseignements !
    Je note, dans le paragraphe où tu parles de la VFC : «  C’était comme si une force supérieure m’ordonnait de ne plus rien faire pour sauvegarder mon organisme autant que possible avant de lui faire subir deux jours d’effort démesuré « 
    La Force Supérieure, ta meilleure amie ou bien ton Moi Supérieur, Celui qui Sait, ou encore cette fameuse Intuition qui va jusqu’à envoyer des informations dans le corps physique …. Pour le préparer , le sauvegarder, pour plus tard 😆

    Je prends note 📝 de tous les paramètres que tu traites ici ….. MERCI pour ce partage ! Et je m’en vais relire le récit de cet ultra 🙏🏻

    1. Merci Isa ! L’Energie est un flux délicat dont il convient d’en écouter toutes les subtilités pour pouvoir agir dessus. Je crois que je ne t’apprends rien de ce côté-là
      Bonne lecture

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