Quel est le sens de s’entrainer comme un forcené ?

C’est en ces termes que je me pose la question. Le sens, encore et toujours … à quoi bon faire une quelconque action si elle ne débouche sur rien, si elle ne sert à rien. Je pense que je me pose 20 fois la question par jour actuellement … et dans tous les compartiments de ma vie.

Commençons par le professionnel. Une crise économique comme on n’en a jamais connu, des réductions budgétaires drastiques, des contrats de sous-traitance arrêtés du jour au lendemain, des jours de chômage technique imposés. Des menaces de réorganisation pour maintenir l’activité avec le risque de voir mon poste se volatiliser dans les semaines / mois à venir tout en faisant tourner el quotidien du mieux que je peux. Quand on travaille dans l’industrie, on en est tous là. Un brouillard épais en guise de perspective et des tonnes de questions sur ce que sera le futur.

Côté sport, je ne l’avais pas annoncé ici sur ce blog mais début janvier je me faisais une joie de me projeter dans une nouvelle préparation pour un ultra avec en fil rouge des CO (courses d’orientation) pour agrémenter tout ça. Jugez plutôt :

Petit flash-back

Le week-end d’avant (8 mars), l’Italie est déjà durement touchée par le Covid-19, les grosses manifestations sont annulées les unes après les autres. Les français ne comprennent pas ce qui leur arrivent et prennent la situation encore à la légère. Annulation des regroupements de plus de 1000 personnes, puis 500, puis 100. Tout ça en quelques jours. Une manifestation comme le BMT arrive quelques jours trop tard pour passer entre les gouttes. C’est l’annulation, avec les lourdes conséquences auxquelles on peut s’attendre pour une association qui n’a pas les reins si solides que ça. Pas sûr qu’un nouvel opus du BMT verra le jour …

Emmanuel Macron annonce le jeudi 12 mars au soir la fermeture des écoles jusqu’à nouvel ordre, puis le dimanche 15 au soir le confinement total. Ça y est, on y est. Et maintenant ?

– Edouard Philippe, il a dit que c’était pour deux semaines ma petite dame.

– Moi je vous dis qu’on reprendra après le pont du 1er mai !

– Mais vous rêvez ma parole, la rentrée des classes, ça sera pour Septembre, pas avant !!!

Soit … sauf qu’aujourd’hui personne ne sait. Et à part attendre et tenter de réinventer une vie bousculée de toute part, on ne peut rien faire d’autre. On le sait, si ça dure, les impacts physiques et psychologiques seront réels. Perdre le goût des choses, être désœuvré, tourner en rond et se noyer derrière des écrans sont le lot quotidien de bon nombre d’entre nous – je parle de ceux qui n’ont pas à partir au front et pour qui le quotidien est autrement plus anxiogène et dangereux. OK, une fois tout ça dit, que peut-on faire?

Reprenons la suite de la préparation

  • 17/05 : le 69 kms du trail Cathare dans les Hautes Corbières. Là encore, un sacré parcours avec ses 4900 mètres de dénivelé, ça aurait dû être une belle fête du côté de Cucugnan dans l’Aude.

J’en parle au passé car les organisateurs ont pris la semaine dernière la sage décision d’annuler l’événement. Quand bien même nous serons sortis du confinement, comment avoir le temps de remettre une telle organisation en ordre de marche dans un temps si court ? Comment les coureurs peuvent-ils être prêts en aussi peu de temps ? Impossible en effet. Et une de plus …

Et la suite ?

Je suis inscrit le 23/07 aux 160 kilomètres de l’Ultr’Ariège pour une traversée inédite de la Basse-Ariège de Aulus-les-Bains à Ax-Les-Thermes avec 10500 mètres de dénivelé au programme. Les organisateurs doivent certainement trembler dans leurs chaussettes et prier que le diable Covid-19 daigne bien afficher pour la première fois un peu de clémence pour laisser le monde entier reprendre ses esprits après avoir été terrassé à la vitesse de la lumière par un mal aussi impitoyable qu’invisible. Conjecture …

L’événement est toujours au calendrier mais pour combien de temps ? Et puis honnêtement … Est-ce bien raisonnable ? Un 100 miles ? Avec combien de temps pour se préparer ? Certes tous les participants au départ seront des guerriers, tous ont déjà un sacré bagage et personne ne part de zéro, mais sérieusement ? Quand bien même on sort du confinement en mai, ça laissera au mieux deux mois et demi pour manger du dénivelé jusqu’à plus soif avec un vrai risque de blessure. Est-ce bien raisonnable ? Sans la moindre course de rodage avant ? Personnellement, je n’ai jamais fait. Je n’ai pas encore pris ma décision pour cette course mais ma tête n’y est plus.

Le monde est secoué de toute part, des gens meurent tous les jours de cet ennemi fantôme, les personnels soignants sont exposés tous les jours au pire, les obligeant à une abnégation admirable. Et dans le même temps, il faut assurer l’éducation des enfants tout en continuant à se connecter à ses collègues en télétravail pour des projets qui s’écroulent les uns après les autres. On passe nos journées à préparer les repas, à manger et remplir frigo et congélo. Alors le trail ? Comment dire … un lointain, doux et nostalgique souvenir … déjà !

Et pourtant, moi aussi je fais du sport tous les jours. Je continue le renforcement musculaire, les multiples séances de yoga et de méditation. Je visite toutes les impasses du quartier dans un rayon d’un kilomètre dans la limite d’une heure pour bien respecter les règles du confinement. J’ai même tenté le défi un peu stupide de tourner en rond dans mon jardin comme un hamster pour parcourir un semi-marathon. Et j’y suis arrivé

Est-ce que ça me plait ?

Je me rends compte après quelques semaines de cette situation inédite que je suis en train de revenir aux fondamentaux. Le plaisir de l’effort pur et brut. Le lien avec soi sans artifice.

Strava ? Oui … peut-être … mais on s’en fout en fait … L’important n’est pas là. Pas dans le kilométrage, la vitesse ou la performance. L’important, c’est de sentir à nouveau vivant, de reprendre des couleurs, sans aucun autre artifice, de voir comment nos émotions se régulent magnifiquement et que le corps nous remercie pour sa dose quotidienne d’endorphines.

J’aime découvrir de nouveaux recoins de vie à seulement 500 mètres de chez moi. J’aime courir au milieu des rues désertes. J’aime la bienveillance des sourires francs qui se dessinent sur le visage des gens croisés ici et là. J’aime revoir les mêmes têtes aux mêmes heures, toujours plus familières. J’aime entendre le rire des enfants en train de shooter dans des cailloux sur les bords de route. J’aime approfondir un peu plus loin cette relation avec moi-même. Un très puissant bol d’air au milieu d’une journée écrasante de désillusions.

Oublier l’horloge et retrouver la valeur des plaisirs les plus simples. Et si c’était tout simplement ça le sens d’enfiler tous les jours sa tenue de sport ? Est-ce qu’il faut le faire comme un forcené ? Honnêtement ce serait dommage … Faut-il s’écouter ? Pour s’y mettre … sûrement pas vu le peu d’envie actuelle. Pour découvrir les charmes de cette nouvelle pratique sportive, à la fois contemplative et communautaire … certainement … assurément même !!

Oublions le trail et la perspective de longues sorties en montagne pour le moment. Le jour viendra bien vite où l’on pourra enchainer les cols et les sommets et où nous porterons un regard de compassion sur la période actuelle. C’est le temps de l’introspection et de l’auto-critique. Apprécions cette période unique et historique dans ce qu’elle peut nous apporter de meilleur, un total changement de point de vue et une complète remise en question de nos plus vieilles certitudes…

Puisse l’Univers veiller sur vous et vous apporter la lumière !

 

 

Une réflexion sur « Quel est le sens de s’entrainer comme un forcené ? »

  1. Que l’univers veille sur toi et les tiens, Séb, afin que tu continues de nous faire cheminer en maniant si bien la prose et en nous faisant voyager sur les chemins des trails avec toi, à la recherche et à la découverte de la lumière! Merci pour ces mots.

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