LE processus d'acceptation

Le processus d’acceptation

Faisons aujourd’hui un zoom sur la clé de voûte de la réussite en trail: le processus d’acceptation.

Une course de trail, comme la plupart des sports, n’est finalement qu’une somme d’événements qui s’empilent les uns derrière les autres et qu’il faut être prêt à affronter, à gérer et à intégrer jusqu’à les faire siens et à avancer en équilibre à travers eux.

Mon premier ultra-trail

La descente aux enfers

7 juillet 2018. Le soleil arrive à son zénith. Je viens de perdre 2000 mètres de dénivelé en redescendant du Pas de l’Escalette. C’est la première des deux dégringolades au programme de l’ultra-LAT, la version 80 km du trail de Luchon. Il fait très chaud. On annonce 32° dans la ville et je n’ai rien avalé d’autre que deux barres de pâte d’amande depuis le départ donné 8h plus tôt.Lac d'OO depuis la Hourquette des Hounts Sec

Je suis affamé, déshydraté et pourtant rien ne passe. J’ai la nausée. Ça fait déjà quelques heures que je gamberge. Au début, je ne voulais pas voir la réalité en face. Je me disais que ce gros bloc qui me barre le ventre allait finir par passer, alors j’ai poursuivi comme si de rien n’était.

Et les choses vont de mal en pis. Les voyants virent au rouge un par un. C’est mon premier ultra, j’arrive à mi-course et je vois mal comment je vais pouvoir aller au bout.

Les émotions à fleur de peau

Pourtant j’avais tout bien préparé. J’étais allé voir un gastro-entérologue pour comprendre mon anémie chronique liée à la course. On avait mis en place un protocole nutritionnel. Je n’avais qu’à manger du solide à chaque ravitaillement.

Trop juste par rapport aux barrières horaires, j’ai zappé le 1er ravito en ne faisant que le plein des gourdes. Et puis au moment où je me suis décidé à manger, rejet immédiat !! « Mais pourquoi ça m’arrive à moi, alors que les autres autour ont l’air bien, c’est pas juste ! »

Port de VénasqueEn arrivant à Luchon, je suis seul face à moi-même. Pas d’assistance pour m’aider. Je dois me débrouiller seul. La torture est d’autant plus grande que les coureurs du 40 kms partis juste après nous sur la même 1ere boucle en terminent, alors qu’il nous faut repartir pour une autre boucle de 40 autres kilomètres. Les abandons se multiplient autour de moi.

Les actions d’urgence

Je m’approche d’un bénévole en lui demandant si l’organisation comptait être tolérante sur les barrières-horaires. Après m’avoir patiemment écouté exposer mes déboires, il me conjure d’avaler du coca pour apporter un peu de sucre et d’aller m’allonger à l’écart dans un des rares coins d’ombre. Dubitatif, je lui balance un « à quoi bon » à la figure. De toute façon, je n’ai pas le choix. On fera le point dans 1 heure quand les barrières horaires auront fondu sur moi.Allongé et terrassé par l'épuisement

A ce stade-là de la course, je suis complètement abattu et je ne vois pas d’autre issue que l’abandon. Je prends un Spasfon pour atténuer cette douleur sourde et lourde au creux de mon ventre et m’exécute. Je me sens vide, las. Pourquoi est-ce que je m’inflige un tel supplice ?

… et finalement la libération

Quand je me relève, la douleur est passée. Un passage aux toilettes me permet d’enfin évacuer ce poids qui bloquait mon ventre. Une envie irrépressible de mordre à pleines dents dans des citrons m’assaille et je goûte au plaisir salvateur d’avaler de l’eau à pleines rasades. Telle une éponge, je reprends forme. J’ai bien conscience que ce n’est plus la même course. Mes rêves cachés de faire un bon temps s’envolent et le combat qui m’attend maintenant est de passer les barrières horaires qui ne sont plus qu’à 15′ derrière moi.Rafal Nadal Déterminé à Roland Garros

Je sais que je reviens de loin et ne veux pas gâcher les petites chances qui me restent de devenir finisher de mon premier ultra. Au lieu de me jeter tête baissée dans la bataille, je repars tranquillement, posément, à la recherche d’un équilibre en fréquence cardiaque et à l’écoute des besoins de mon corps.

La suite … je la raconte dans cet article.

Analyse de l’expérience

Pourquoi vous raconter tout ça ? Parce qu’inconsciemment je suis passé par toutes les étapes du processus d’acceptation. J’ai intégré dans la douleur une donnée (blocage au ventre) qui aurait pu être fatale pour mes ambitions d’apprenti finisher.

Reprenons les phrases en caractères gras et mettons-les bout-à-bout :

  1. j’ai poursuivi comme si de rien n’était –> Là, je suis en plein dans le déni. Je mets un grand couvercle sur mes problèmes de ventre.
  2. Mais pourquoi ça m’arrive à moi, alors que les autres autour ont l’air bien, c’est pas juste ! –> La colère m’envahit au point de ne plus être lucide sur ma propre responsabilité dans ce qui m’arrive.
  3. Je m’approche d’un bénévole en lui demandant si l’organisation comptait être tolérante sur les barrières-horaires –> j’entre dans un marchandage inutile avec les bénévoles au lieu de me concentrer sur mon problème.
  4. De toute façon, je ne vois pas d’autres issues que l’abandon –> C’est au tour du désespoir de faire son apparition.
  5. J’ai bien conscience que ce n’est plus la même course –> j’entre dans une phase introspective de remise en question existentielle. C’est le temps de la réflexion.
  6. Je sais que je reviens de loin et ne veux pas gâcher les petites chances qui me restent –> la donne a changé mais je l’ai intégrée. L’acceptation a enfin fait son chemin jusqu’au plus profond de mon être. Je peux enfin repartir sur de nouvelles bases.

Le processus d’acceptation

Le processus du cheminement intérieurCes phases sont exactement les mêmes que celles d’un deuil.

La psychiatre Elisabeth Kübler-Ross, pionnière de l’approche des soins palliatifs décrit le deuil comme un processus en cinq étapes.

Le choc et le déni: phase où les émotions semblent pratiquement absentes. C’est en quittant ce stade que la réalité de la perte commence à s’installer.

La colère : la personne est confrontée à l’impossibilité d’un retour à la situation dont elle doit faire le deuil.

Le marchandage: phase des négociations, des chantages utilisant la situation ou l’un de ses aspects.

La dépression: grande tristesse, détresse, remises en question.

L’acceptation: la dernière phase. Celle pendant laquelle l’endeuillé reprend le dessus. La réalité est beaucoup mieux comprise et acceptée. La vie peut être réorganisée en fonction de la perte à présent intégrée.

Les cinq phases peuvent être linéaires mais les retours en arrière avant de recommencer à avancer et/ou les enchaînements atypiques ne sont pas rares.

On trouve des phases intermédiaires dans la littérature (comme sur l’image ci-dessus), mais elles ne font que préciser ces cinq-là.

Un cas d’école

Revenons sur l’expérience de Simon Dugué à l’Echappée Belle 2020. Il a connu exactement la même mésaventure avec ses problèmes gastriques sauf qu’il n’est pas allé au bout du processus d’acceptation. Dans cette phase de dépression si douloureuse, il s’est laissé aspirer par ce puits sans fond sans parvenir à la phase de réflexion indispensable au processus d’acceptation. A aucun moment, il a remis en question sa façon de courir et sa stratégie pour s’adapter à cette donne pénible qu’est le trouble gastrique.Simon Dugué à l'arrêt sur l'Echappée Belle 2020

C’est d’autant plus difficile pour des coureurs de bon niveau d’accepter de revoir leurs ambitions quand des bâtons viennent se glisser dans leurs roues. Leur ego de « performer » n’est pas prêt à se laisser entendre dire …

« Ralentis le rythme » ou

« Repose-toi » ou

« Adapte ta stratégie d’alimentation » ou

« Accepte de perdre des places maintenant pour en gagner plus tard« 

Le processus d’acceptation leur est d’autant moins accessible qu’il est caché derrière la puissance de leur challenge.

Analogie maritime

Seulement deux bonnes raisons peuvent pousser un coureur à abandonner : les blessures et les barrières-horaires. Pour tout le reste, il existe des palliatifs qui permettent de gérer l’impondérable et d’intégrer un processus d’acceptation.

Destremau et sa casquette en carton

Partons sur les océans à la rencontre des aventuriers du Vendée Globe. Ils n’ont pas tous le même budget initial, pas tous la même expérience, pas tous la même préparation, leurs bateaux ne sont pas tous équipés de la même façon. Mais ils partent tous avec la même envie d’aller au bout.

Et pourtant que dire de Sébastien Destremau avec sa casquette de cabine de pilotage en carton qui a été intégrée à la dernière minute et qui a rapidement perdu son étanchéité ?Sébastien Destremau au départ du Vendée Globe 2020

On pourrait comparer ça à un ultra-trailer parti avec des bâtons rouillés qui cassent après 20 kms. Est-ce ennuyeux ? OUI. Est-ce un motif d’abandon ? NON. Il a pris le risque. Il est parti avec et il accepte de devoir s’en passer.

Le Cam et les foils

Et que dire de Jean Le Cam, très bien placé au classement, avec un bateau sans foils ? Là encore pour continuer la comparaison, c’est comme un ultra-trailer qui part sans bâton. S’il se plaint d’avoir un rendement plus faible en côte que les coureurs avec bâtons, alors il fait fausse route. Par contre, s’il sait trouver son rythme en adaptant sa course et en appréciant de courir plus léger et moins encombré alors il sera peut-être aussi performant qu’un Jean Le Cam en mer.

Tout est affaire d‘optimisation de son potentiel du moment … et rien d’autre.

Jean Le Cam au Vendée Globe 2020Un ultra-trail est comme la traversée d’un océan sur une coquille de noix. On prépare son matériel du mieux que l’on peut. On se prépare soi-même à affronter les pires conditions et on élabore des stratégies parfois complexes. Et pourtant une fois en pleine mer on ne s’attendait pas à vivre pareille expérience :

  • les mers d’huile nous plongent dans une colère noire,
  • les tempêtes nous terrifient,
  • le matériel qui lâche nous inquiète et nous fait gamberger,
  • le lyophilisé nous écoeure
  • le manque de sommeil dérègle notre lucidité

Devenir finisher

Aller au bout d’un trail, qu’il soit de 20 ou de 160 kms, c’est …

accepter de devoir faire face à l’inconnu,

prendre conscience des paramètres sur lesquels nous pouvons jouer et de ceux sur lesquels nous n’avons aucune prise,

… aller piocher dans notre outillage personnel pour trouver la meilleure stratégie pour composer avec ici et maintenant,

… prendre le risque de devoir faire des choix qui nous mèneront peut-être à notre perte mais qui feront de nous un être plus riche et plus expérimenté,

… trouver cet équilibre de chaque instant entre le Yin, l’énergie reposante du repli sur soi, et le Yang, l’énergie explosive du dépassement de soi.

Courir un trail, c’est un travail d’équilibriste sur un fil ténu exposé aux quatre vents. Si vous refusez d’être balloté dans tous les sens, si la perspective d’une chute vous terrifie, alors vous allez droit à votre perte. Si au contraire, vous ouvrez grand les bras et que vous faites face à tout ce qui se présente avec courage, souplesse et humilité, vous êtes solidement armé pour aller au bout, quel que soit votre niveau physique.Alexandre Seurat le funambule

En fin de compte, le trail est comme la vie : un changement perpétuel des données sur lesquelles nous construisons et nous avançons. Nous n’avons que deux options :

  • Résister aveuglément, nous affaiblir et chuter
  • Accepter, trouver la meilleure stratégie et avancer

La sagesse commence par l’acceptation de l’inévitable et se poursuit par la juste transformation de ce qui peut l’être.

– Frédéric Lenoir –Avatar Séb

4 réflexions sur « Le processus d’acceptation »

  1. Comme d’habitude, un magnifique article, très clairvoyant et qui démontre bien une expérience vécue mais constructive. J’adore !!!!
    Merci Seb

  2. Très intéressant de lire tes mots sur des choses vécues et qui font écho à mon expérience. Et puis très belle écriture qui donne envie d’en lire plus. En un mot : excellent !

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