Le discours interne

Le discours interne

« Je n’y arriverai jamais« , « je suis nul« , « je suis trop gros« , « je suis trop lent« , « je suis parti trop vite » … et bla bla bla … vous avez tous été confrontés un jour à cette petite voix rabat-joie qui vous assomme avec ses phrases assassines. Ça n’arrive jamais au bon moment. Ça nous sape le moral et ça nous coupe les jambes. La performance en prend un grand coup. Et elles peuvent même nous mener à l’abandon. Satané discours interne !

Est-ce une fatalité ? Doit-on nécessairement subir cette petite voix ? NON … et c’est l’objet de cet article.

Le discours interne : définition

En 1993, Hackfort et Schwenkniezger proposent la définition suivante pour le discours interne :

« Un dialogue à travers lequel les individus interprètent leurs émotions et leurs perceptions, régulent et modifient leurs évaluations ainsi que leurs convictions et se donnent des instructions et des encouragements »

Plusieurs notions là-dedans :

Un dialogue

On dit parfois qu’on est plusieurs dans sa tête sur le ton de la boutade, mais on n’est pas très loin de la vérité. Ces phrases remontent de notre inconscient et notre cerveau se complait à les alimenter à l’infini. Il s’agit bien d’un dialogue entre la partie instinctive de notre cerveau et sa partie rationnelle qui se met en place.

Discours interne - dialogue intérieur

Interprètent émotions et perceptions

Là on indique que l’attention se tourne à la fois vers l’intérieur et l’extérieur, qu’elle capte des signaux par ses canaux sensoriels et que le cerveau rationnel cherche à ranger et classer ces signaux dans des cases.

Emotions + perception >>> pensées

On sait tous que les pensées sont chargées émotionnellement. Plus ou moins. Ça n’a rien d’anodin de s’affirmer à soi : « je suis nul« . Il est fort probable que cela génère de la frustration, de l’abattement ou même de la panique.

Pensées >>> Emotions

Vous la voyez apparaitre la boucle fermée ??

Régulent et modifient

Ce dialogue impacte notre ambiance interne (pour reprendre un terme du yoga). Le mental en action a une influence directe sur l’équilibre chimique de notre corps. NOUS avons donc une responsabilité claire dans ce qui se passe à l’intérieur de nous.

Evaluations et convictions

On rentre dans toute la partie subjective de l’image que l’individu a de lui-même. Il se classe dans une échelle de valeurs et il se crée un système de croyance qu’il construit comme un tout qu’il souhaite cohérent.

Si un signal est perçu comme non cohérent avec le système en place, il est considéré comme dangereux et une lutte interne se met en place : intégration ou rejet. C’est le fameux processus d’acceptation.

Effet du discours interne

Instructions et encouragements

Là, Hackfort et Schwenkniezger nous donnent la version positive de l’issue du discours interne. Celui-ci nous fait passer à l’action pour ajuster ce qui doit l’être en fonction des perceptions ressenties. On remet du gaz dans la machine ou on lève le pied.

Ça, c’est quand ça se passe bien. Il n’est pas rare que le discours interne mène à des actions contre-productives car la situation est inédite ou que l’on est victime de schémas délétères … alors que l’on croit bien faire.

Pire. Il manque une dernière partie à cette définition : souvent le dialogue ne mène à rien. On arrive droit dans l’impasse et aucune action n’en résulte. Et un chaos interne se met en place.

Peut-on mettre fin au discours interne ?

Désolé de vous décevoir mais NON. On ne peut pas. Nous avons en nous une radio qui tourne en permanence et nous propose un programme pas toujours très agréable. En yoga on parle de « l’agitation du singe« .

Méditation de pleine conscience et discours interneEvidemment il existe des tas de techniques pour faire taire ce discours interne ou mettre au repos notre mental : le yoga (c’est même une des définitions du mot), la méditation ou la sophrologie sont des voies très utiles pour cela. Mais l’action ne sera que temporaire et quand on se remettra en marche, la radio se remettra en route.

La bonne nouvelle, c’est qu’en plus de contrôler son flux, on peut en contrôler son contenu.

Le discours interne vu par Stéphane Brogniart

Stéphane Brogniart est un trailer d’excellent niveau avec des places de choix à l’UTMB notamment. Mais ce vosgien aventurier et amoureux de la vie est aussi coach et préparateur mental. Je vous propose des extraits d’une interview captée en 2017 par Trek TV.

Identifier les pensées parasites (55 »)

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L’exemple pris par Stéphane est simpliste mais a le mérite d’être clair : si on consacre 15% de notre attention à l’idée que l’on veut faire une bonne place, ça ne nous aidera pas à courir plus vite et ça mobilise de la bande passante pour rien.

Cette idée est ce que l’on appelle une pensée parasite. Elle est contre-productive pour l’objectif que l’on s’est donné et génère du bruit interne pour rien.

Se créer des parades ou des routines (1’47 »)

S’occuper plutôt que se préoccuper. Toute la clé est là.

Stéphane propose un texte à relire ou une phrase écrite sur son bras. L’idée étant de casser le dialogue en détournant l’attention du cerveau. En se lançant dans une action programmée à l’avance, on reconditionne nos pensées qui se focalisent sur la tâche à accomplir.

C’est ce qu’on appelle une routine. Elle est personnelle et doit être travaillée très amont de la compétition pour avoir une réelle efficacité.

Les limites du modèle

On sent bien que ça va marcher pour des sports techniques sur des séquences courtes de jeu, comme le tennis ou le golf par exemple. Pour un sport d’endurance, voire d’ultra-endurance. Il est difficile de maintenir un niveau de concentration élevé tout au long de la course. Le cerveau a besoin de phase de repos pour se régénérer. L’auto-hypnose peut être une solution, mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Auto-Hypnose - Discours interne - Contrôle du mental

Ces fameuses pensées parasite peuvent être très nombreuses et protéiformes.

Avant de chercher une parade pour chacune d’elle, étudions-les dans le détail.

Zourbanos et son orchestre

En 2009, Zourbanos et ses compères produisent une étude passionnante sur le discours automatique chez les athlètes. Leurs résultats leur a permis de développer l’Automatic Self-Talk Questionnaire for Sports (ASTQS) qui fournit un éclairage intéressant au sujet de la forme que peut prendre ce discours interne automatique.

Les auteurs ont demandé à 355 athlètes compétiteurs de différentes disciplines de noter rétrospectivement par écrit le contenu de leur discours interne automatique. Au terme de l’étude, ils ont pu identifier huit catégories.

D’une part, on retrouve quatre catégories positives : activation psychologique (« aller! »), contrôle de l’anxiété (« calme-toi »), confiance (« fais de ton mieux ») et instruction (« concentre-toi sur ta technique »).

D’autre part, on retrouve quatre catégories négatives : inquiétudes (« je vais perdre »), désengagement (« je veux partir d’ici »), fatigue somatique (« je suis fatigué ») et pensées impertinentes (« j’ai faim »).

Ces résultats montrent que le contenu du discours interne automatique des athlètes est varié et peut servir plusieurs fonctions : être au service de la performance ou être un obstacle à celui-ci.

L’influence de la personnalité sur le discours interne

Parmi les facteurs personnels pouvant influencer le discours interne automatique, la personnalité de l’athlète est un facteur particulièrement influant. Le lien avec Jung et son MBTI est évident :

  • Les Si / Te (ISTJ et ESTJ) qui captent l’information par rapport à leurs expériences passées et mettent en place des systèmes efficaces sont largement mieux équipés pour trouver des parades que …
  • Les Ni / Fe (ENFJ et INFJ) qui captent l’information via un filtre mental subjectif et ne passent à l’action qu’en fonction de l’harmonie qu’ils perçoivent ou non autour d’eux.

Ces derniers auront besoin de beaucoup plus de travail sur eux-mêmes pour ne pas se laisser embarquer par un discours interne délétère.

Quand le discours interne a des effets délétères sur la performance

L’influence du contexte sur le discours interne

J’enfonce des portes ouvertes, mais le discours interne sera radicalement différent s’il est annoncé des orages sur le Grand Col Ferret ou si les prévisions météo sont au grand beau.

Rien à voir de reconnaître un parcours en solo durant un week-end choc ou de le réaliser en course entourés d’autres coureurs. Les stimuli sont différents et le cerveau n’est pas sollicité de la même manière.

Le discours interne : habileté mentale ou acceptation ?

En préparation mentale, il existe deux façons d’optimiser la performance :

  • Modifier son état interne par des techniques. C’est ce qu’on appelle l’habilité mentale
  • Etre conscient de ses forces et faiblesses du moment et performer dans n’importe quel état. « On fait avec ». C’est l’acceptation.

A 3’06 » de la vidéo, Stéphane Brogniart nous dit « sois le champion du monde de ton monde » en gardant bien à l’esprit de ne pas prendre en référence une course du passé au déroulement parfait.

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Le traitement du discours interne est une combinaison des deux approches :

  • Optimiser son potentiel du moment qui est ce qu’il est. On a fait une préparation aux petits oignions et pourtant il a fallu se coltiner un déplacement professionnel imprévu quelques jours avant l’épreuve et le petit dernier a été malade comme un chien toute la nuit précédente. Tant pis. Revoir ses ambitions à la baisse. Ecouter les messages de son corps et composer avec lui et non contre lui.
  • Faire preuve d’habileté mentale en notant les petites phrases assassines qui ne manqueront pas de fleurir et appliquer les parades répétées maintes fois à l’entraînement quand notre équilibre interne était meilleur. Si ça n’a pas été préparé, impossible d’improviser une parade le jour J alors que les conditions de course sont notablement dégradées.

Revenir au moment présent

On l’a maintes fois entendu et pourtant c’est l’une des clés principales de la performance. On distingue 3 types de « décalage » qui nous écartent de ce fameux moment présent.

Les 3 dimensions dans lesquelles s'échappe le discours interne

Passé / présent / futur

Le temps d’abord. Soit on part dans le passé car ce que l’on voit, entend, sent nous fait penser à quelque chose déjà vécu, en bien ou en mal. Soit on part dans le futur à anticiper des scénarios hypothétiques qui n’arriveront probablement jamais.

Attention, je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire. On peut décider sciemment de partir dans l’une ou l’autre des directions. Ici, c’est plutôt une tendance naturelle du cerveau à nous extirper du présent sans même que l’on en soit conscient.

Ici / ailleurs

Les jambes sont là et l’esprit est resté à la maison à rechercher cette fichue montre qui est restée dans on ne sait quel tiroir. Oui c’est dommageable, mais c’est improductif de penser à cela durant la course. L’épreuve se passe là sous nos pieds et pas ailleurs.

Moi / les autres / les éléments

Ce fameux contexte qui peut tout mettre par terre en quelques secondes. Combien de coureurs en orientation se sont retrouvés perdus en suivant un autre qui avait l’air bien pourtant et qui les a emmenés dans la mauvaise direction alors que tout allait bien ?

Se comparer aux autres et leur imaginer des intentions hypothétiques ne peut que nuire à notre performance en générant du discours interne contre-productif. Les autres font leur course et vous faites la votre. On peut les juger, les craindre, les évaluer, les railler. L’activité cérébrale engendrée nous écarte de notre centrage sur nous et la partition que l’on doit dérouler.

Plus difficile : les éléments qui se déchainent les uns après les autres et nous déstabilisent. « Je n’ai pas de chance aujourd’hui » vous vous répétez. Et plus vous tournez cette phrase en boucle, plus le monde s’écroule autour de vous, validant ce biais cognitif qui vous fait montrer du doigt uniquement le négatif de la situation.

Une épreuve sportive est une suite d’aléas à gérer. Tout le monde doit en vivre. C’est la base même du sport. Se laisser perturber par une température un peu plus fraiche que d’habitude ou un chemin rendu glissant par la pluie de la veille est générateur d’un discours interne négatif. Encore une fois, en préparation mentale, il faudra envisager tous les « scénarios dégradés » possibles et les appréhender positivement pour ne pas être déstabilisé le jour J.Le cercle de la pleine conscience - fondamental pour canaliser le discours interne

… et avant la course ?

Comme dit plus haut, on n’improvise pas des parades le jour J. Ça peut marcher mais c’est jouer avec le feu. Je vais vous donner ici la méthode à suivre.

Les entrainements

C’est le moment de mettre en place cette bonne pratique de noter son discours interne à chaud après chaque sortie.

Dans un carnet, créez un tableau à 4 colonnes :

  1. Le discours interne mot pour mot (« c’est vraiment pas fait pour moi ce sport de %#@$ »)
  2. Le contexte d’activation du discours interne (gamelle après avoir glissé sur une pierre instable)
  3. L’ambiance émotionnelle associée (colère contre moi-même)
  4. La catégorie du discours au sens « Zerbanos » du terme :
  • activation psychologique (« aller! »)
  • contrôle de l’anxiété (« calme-toi »)
  • confiance (« fais de ton mieux »)
  • instruction (« concentre-toi sur ta technique »)
  • inquiétude (« je vais perdre »)
  • désengagement (« je veux partir d’ici »)
  • fatigue somatique (« je suis fatigué »)
  • pensée impertinente (« j’ai faim »)

Après quelques semaines, il y a de bonnes chances que vous ayez noirci des pages et des pages si vous faites ce travail avec application. L’important à ce stade est de repérer les récurrences. Qu’est-ce qui revient régulièrement ?

Si ce sont des phrases dans les 4 premières catégories. Génial, vous êtes accompagné d’un discours moteur et efficace ! Gardez-le

Si elles sont plutôt dans les 4 dernières, on va les regarder à la loupe et trouver des parades pour celles qui sont dans le top 5.Carnet pour noter son discours interne

Les week-end chocs

C’est le moment d’observer attentivement ce fameux discours interne et de mettre en application les parades construites au fil des entrainements. Particulièrement au redémarrage les lendemains matins où les sensations peuvent être particulièrement désagréables. Les conditions sont alors idéales pour un discours interne délétère.

Est-ce que ces parades fonctionnent ?

OUI, vous voilà équipé pour affronter la tempête.

NON, alors il faut les ajuster jusqu’à ce qu’elles soient efficaces.

Le rôle du préparateur mental dans la régulation du discours interne

Le coaching

Soit vous vous connaissez bien et vous êtes capable de trouver la parade seul, soit vous faites appel à un préparateur mental qui vous guidera dans la création d’une routine sur mesure.

J’ai passé la certification début 2021. Je sais faire. N’hésitez pas à me contacter pour voir comment travailler ça ensemble (commentaire sous cet article ou mail du blog).

Attention, il n’y a pas de remède miracle : ce système de parades ne fonctionnera que si vous intégrez que c’est une composante à part entière de votre entrainement. Il va falloir y consacrer le temps nécessaire pour le rendre efficace.

Au même titre que l’on devient un bon conducteur avec des bons réflexes après avoir aligné les heures de conduite, la parade ne sera efficace que si elle est devenue instinctive, donc si elle a été répétée moultes fois à l’entraînement.

Pour conclure sur le discours interne

Avant la course, prendre conscience de son discours interne et de ses conséquences délétères sur la performance est une habileté mentale à travailler. Comme les gammes que le musicien répète à l’échauffement.

Pendant la course, il est trop tard pour improviser, on déroule la partition et on fait confiance à son potentiel que l’on cherche avant tout à optimiser. C’est notre flexibilité mentale à accueillir sans résistance le processus d’acceptation qui sera la clé de la réussite.

Je vous souhaite de vivre un discours interne efficace Avatar Séb

 

4 réflexions sur « Le discours interne »

  1. Salut Coach😁
    Je viens de lire ton article… C’est marrant et plutôt rassurant…impressions à chaud, directes après lecture sans trop réfléchir…
    J’aime bcp l’adage de dire « sois le champion du monde de ton monde » mais c’est parfois source de frustration qd tu as envie de sortir de ton monde et que tu n’y arrives pas (mais des fois, ça rassure aussi de rester dans son monde qd tout le monde court autour de toi)… On est pas tous du même monde… OK, j’arrête 😜
    Ensuite, je suis rassurée par mon discours interne plutôt positif sauf devant une méchante côte où là, je râle contre mon physique… Et bim ! Relation au corps… Mince, Seb à encore vu juste… Tout est lié… Je le sais… Yakafokon😜
    En fait, tu m’énerves ( grrr..) à bousculer des évidences qu’on vit en course sans nécessairement les identifier au moment… Je vais y prêter attention et faire du lien entre mes pensées et ce que je ressens au moment d’une course…
    Merci Seb👍

    1. Salut Isa
      Avec grand plaisir
      Ha, ha, ha, bon bien je crois que tu as l’un des thèmes que l’on va aborder la semaine prochaine ;-).
      Tu as une telle volonté de progresser qu’on devrait facilement trouver des parades efficaces !

  2. Quel incroyable article !
    Vous réussissez à mettre en mots ces maux qui nous tarabustent et nous freinent, tant dans nos activités sportives que nos aspirations personnelles et professionnelles d’ailleurs. Le mot « routine » a désormais pris une valeur positive !! Routinière pour être une guerrière : j’aime le concept !
    Je vous conctacte.

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