Derrière le nom étrange de Big Dog’s Backyard Ultra se cache l’épreuve la plus impitoyable du monde de l’endurance. Une course sans ligne d’arrivée, où chaque tour est un combat intérieur. Je vous emmène dans les coulisses de cette folie lucide, là où la préparation mentale devient le seul fil qui rattache à la réalité.
Derrière ces mots énigmatiques : Big Dog’s Backyard Ultra
Derrière ces mots énigmatiques (Big Dog’s Backyard Ultra), se cache un concept diabolique inventé par le légendaire Gary Cantrell, alias Lazarus Lake (Laz), en 2011. Ce n’est pas un simple ultramarathon. C’est une épreuve sans fin programmée pour user le corps jusqu’à ce que le mental se délite.
Une Backyard Ultra, kézako ?
Pour bien comprendre les règles du jeu, partons de la définition la plus simple : les concurrents doivent parcourir 6,706 kilomètres chaque heure, sous peine d’élimination. Le vainqueur ? Le dernier coureur à accomplir un ultime tour, seul, quand tous les autres ont abandonné.
Une heure pour 6,7 km. Beaucoup peuvent le faire. Même en marchant.
Mais l’enfer commence quand le chrono se répète, encore et encore.
Comme le dit Laz :
Ce chiffre n’a rien d’un hasard : 6,706 × 24 = 160 km, soit 100 miles (la distance mythique des ultras américains).
L’objectif originel était de boucler 100 miles en 24 heures.
Mais ici, le piège est mental : il n’y a pas de fin prévue.

En Backyard Ultra, où est votre limite ?
Peu importe votre histoire, votre passé, vos victoires. Vous avez déjà ressenti l’impermanence : tout finit par s’arrêter. Quand c’est agréable, trop tôt. Quand c’est pénible, enfin.
La plupart des sports se vivent dans un cadre connu : un score, un chrono, une ligne d’arrivée.
Ici, rien de tout cela. La Backyard Ultra est une métaphore de la vie.
On sait qu’elle finira, mais on ne sait jamais quand.
Et c’est ce qui la rend fascinante.
Parce qu’en Backyard, le mental devient le juge suprême.
Les limites ne se résument pas à la douleur physique. Elles rampent partout :
- usure psychologique,
- blessures,
- dérèglement digestif,
- déshydratation,
- hallucinations,
- délabrement physique,
- épuisement,
- parfois même démence.
Une seule issue permet de lever la tête : être le dernier debout.
Tous les autres sont “Did Not Finish”.
Il n’y a qu’un vainqueur.
Les autres affrontent la défaite nue : celle d’avoir dit stop.

Pourquoi la Big Dog’s Backyard Ultra est unique
C’est le championnat du monde de la discipline.
Elle se déroule dans le jardin même de son créateur, à Bell Buckle, Tennessee.
Un décor champêtre, presque anodin.
Mais sous ces arbres tranquilles, des coureurs se consument depuis plus d’une décennie.
En 2025, trois Français seront au départ : Nicolas Cointepas, Christophe Baud et Ronan Pierre.
Ronan, que j’aurai la chance d’assister le 18 octobre prochain, détient la 4ᵉ marque française avec 80 tours, soit 535 kilomètres.
Face à lui, l’Australien Phil Gore, recordman du monde avec 119 tours (798 km).
Ici, chaque pas raconte une histoire.
Celle de l’homme face à lui-même, quand le temps s’efface et que seule la volonté subsiste.
Pour les athlètes, se rendre dans le jardin de Laz à Bell Buckle, Tennessee, c’est affronter l’origine du mythe.
Là-bas, chaque mètre de gravier a déjà vu passer les plus grandes luttes intérieures.
C’est une cathédrale du mental à ciel ouvert.
Préparer son mental pour la Big Dog’s Backyard Ultra
Il existe mille manières d’entraîner le corps.
Mais préparer son mental pour une Backyard Ultra, c’est une autre affaire.
C’est apprendre à se dépouiller de tout ce qui n’est pas essentiel.
À transformer le vide en compagnon, et la douleur en langage.
Créer une tension d’insatisfaction
La première question que je pose souvent :
À partir de combien de tours seras-tu satisfait ?
Si la réponse existe, la limite est déjà fixée. Un athlète qui répond 87 s’arrêtera au 88e, incapable d’aller plus loin.
Le mental humain cherche instinctivement une frontière : un point où le danger cesse, où la tension redescend. Mais ici, ce point n’existe pas.
L’enjeu est donc de créer ce que j’appelle une tension d’insatisfaction : un ressort intérieur qui pousse à continuer, non pas pour finir, mais pour voir ce qu’il y a après.
C’est une gymnastique mentale : ne plus chercher la délivrance, mais s’attacher au mouvement, à l’instant.
Les athlètes qui vont loin dans cette épreuve visualisent des scénarios sans fin.
Ils ne rêvent pas de finir. Ils rêvent d’aller plus loin que ce qu’ils croyaient possible.
Mental tip
Pour gagner, il faut s’imaginer battre le record du monde. Il faut créer un espace mental où ce scénario est rendu possible.
Quelque soit votre niveau, la visualisation reste le meilleur outil pour lever le piège de l’illégitimité.
En pratique :
> Ferme les yeux
> Porte ton attention sur ta respiration
> Imagine que tu atteins le nombre de tours que tu vises (sois le plus précis possible dans tes perceptions pour rendre la scène la plus réaliste possible)
> Comment te sens-tu ?
> Retour à ta respiration
Ouvre les yeux
Avoir un “Pourquoi” fort et clair
Quand tout s’effondre (et tout finit par s’effondrer), il ne reste qu’une chose : le sens.
Un “Pourquoi” profond, enraciné, qui dépasse la logique.
Celui qui vous maintient quand la douleur ronge tout.
Je distingue deux types de “Pourquoi” :
- l’externe (“je cours pour prouver quelque chose”), fragile car dépendant du regard des autres ;
- l’interne (“je cours pour comprendre qui je suis”), bien plus durable.
Lorsqu’il s’agit de préparer un athlète comme Ronan, je cherche ce point fixe.
Ce qui reste, quand tout vacille.
Mental tip
Ton pourquoi peut tenir sur une feuille A4.
Mais en extraire l’essence sur un post-it est encore plus puissant :
quand tu le lis, il doit te donner des frissons.En pratique :
Tu vas te créer une « fléchette » que tu liras quand tu prendras la décision d’abandonner.
Pour ça, tu t’écris à toi-même les mots que tu souhaiterais entendre de la part de ton meilleur ami.
Ils doivent te rappeler pourquoi tu es venu ici ? Pourquoi tu fais tout ça ?
Attention, cette fléchette ne fonctionne qu’une seule fois.

Se connecter à des sentiments supérieurs
Le mental résiste mieux quand il s’alimente d’émotions nobles : l’identité, l’appartenance, la gratitude, la joie du partage.
Certains coureurs courent pour une cause, d’autres pour honorer une promesse, d’autres encore pour se sentir appartenir à cette confrérie silencieuse des fous lucides.
L’ego laisse place à l’oubli de soi.
L’athlète ne court plus seul. Il est porté par une communauté de gens qui l’accompagnent dans sa quête.
Quand ces émotions supérieures prennent le relais de la peur, le cerveau sécrète différemment : l’ocytocine et la dopamine remplacent le cortisol.
Le plaisir prend racine dans l’effort.
Mental tip
Demande à tes amis de t’écrire des messages de soutien.
Mets-les dans une urne sans les lire.
Chaque fois que tu en ressens le besoin, tu en tires un et tu le lis, en conscience (en visualisant la personne à côté de toi en train de te dire ces mots)
Laisse-les émotions faire le reste.

Découper le gâteau (et le transformer en apéricubes)
Le cerveau déteste l’infini.
Il a besoin de jalons.
C’est pourquoi je conseille de découper la course en niveaux, comme des ceintures de judo : blanche, jaune, orange, verte…
Chacune correspond à une intention, une période, une ambiance.
Et à l’intérieur de ces niveaux, créer des micro-blocs :
manger + se laver + se changer + échanger avec son assistance
Ces petits cycles deviennent des repères mentaux.
Ils rassurent. Ils donnent le sentiment d’avancer dans un cadre.
Chaque tour devient une pièce du puzzle.
Et le cerveau, apaisé par ce découpage, continue d’avancer.
Mental tip
Le plus beau secret de la préparation mentale, c’est celui-ci : on tient plus longtemps quand on vit une histoire.
L’esprit humain a besoin de sens, de cohérence, d’un fil conducteur.
Chaque tour peut devenir un chapitre.
Chaque lever du jour, une renaissance.
Chaque nuit, une traversée intérieure.Quand on se raconte une histoire, on ne court plus, on écrit.
C’est la clé pour transformer l’épreuve en aventure, et la souffrance en récit.
Exemple : on peut identifier des phases clés de la course et leur attribuer une intention
> Niveau blanc : je prends mes marques et discute avec les autres
> Niveau jaune : on entre dans la nuit, je prends soin de mes ressources physiologiques
…
Niveau noir : je reste dans ma bulle et je me répète en boucle pourquoi je suis ici
Diminuer la charge mentale
Chaque décision prise pendant la course coûte de l’énergie.
L’objectif, c’est de préserver la lucidité.
Tout doit être anticipé : alimentation, ravito, tenue, rythme, échanges avec l’assistance.
Le jour J, le coureur ne doit plus réfléchir à rien.
Chaque geste devient un automatisme.
Pour ça, il peut prévoir un tableau avec ce qu’il prévoit de faire pendant ses 10′ de pause, tour après tour.
Garder une routine circadienne permet de se rassurer.
Organiser son espace de repos comme sa chambre donne des repères sécurisants.
C’est là que le rôle de l’assistance prend tout son sens : faire appliquer la stratégie définie en amont.
Le coureur ne pourra se laisser partir dans le sommeil que s’il a confiance dans son assistance : il sait qu’il sera réveillé trois minutes avant l’appel de la boucle suivante.
C’est ainsi qu’on économise les précieuses ressources cognitives qui serviront à lutter contre la lassitude, les doutes, les hallucinations.
Mental tip
Crée un plan d’assistance sous forme de tableau avec :
> En ligne, les différents tours,
> En colonnes, les informations que tu juges utiles de communiquer à ton assistance.
Par exemple : ton état de forme, ton moral, les actions que tu veux faire (manger, dormir, te laver, te changer…).
Tes assistants pourront se référer au plan le jour J.
Créer une bulle de protection
Dans une Backyard Ultra, le danger ne vient pas toujours de soi. Il vient aussi des autres.
Les interactions entre coureurs, verbales ou non, peuvent être de véritables armes mentales.
Un mot mal placé, une émotion contagieuse, une attitude calculée… et la spirale commence.
Il y a celui qui vous glisse qu’il court “pour son ami disparu”, et qui, mine de rien, s’installe dans votre tête.
Celui qui geint, titube, semble à l’agonie… avant de repartir frais comme un gardon dès que vous baissez la garde.
Ou encore celui qui joue avec le chrono, volontairement lent un tour, puis rapide le suivant, pour brouiller vos repères.
Chaque regard, chaque phrase, chaque posture peut être une tentative, consciente ou non, de prendre un ascendant psychologique.
L’intox fait partie du jeu.
Et la seule parade, c’est d’apprendre à cultiver sa bulle.
« Le Ming game », cet intox qui consiste à faire croire que tu es le plus fort, fait partie de la nature humaine, c’est du poker. Comme le dit Guillaume Calmettes, ils font tous comme s’ils n’avaient pas mal. Mais ils ont mal.
> Laz, dans le film « Big Dog’s Backyard Ultra 2019 », réalisé par Fabien Duflos, plate-forme Uptrack

Mental tip : aménager son cocon
Entre deux boucles, le coureur dispose de quelques minutes.
Quelques minutes pour reconstruire son monde.A la Big Dog’s Backyard Ultra, il dispose d’un espace minuscule : une demi-tente de 1,5 m par 3.
Cet espace devient alors un sanctuaire.
Il doit être organisé comme une chambre d’enfant : chaleureux, familier, intuitif.
Chaque objet à sa place.On y retrouve son odeur, ses affaires, son silence.
Ce petit cocon sert à désaturer le mental, à recharger l’énergie émotionnelle et à couper le bruit extérieur.
Car dans une Backyard Ultra, la plus grande victoire, c’est de rester maître de son espace intérieur, quoi qu’il se passe dehors.

Apprivoiser la douleur et les spectres
La douleur n’est pas l’ennemi. Elle est une information. Elle prévient, guide, avertit.
Le travail du mental, c’est d’apprendre à l’écouter sans la juger.
À la regarder comme on observerait une vague passer.
Dans les ultras, on parle souvent de dissociation fonctionnelle : prendre du recul vis-à-vis de soi-même, se voir courir.
C’est une forme de méditation en mouvement. Une respiration consciente qui transforme la souffrance en présence.
Mental tip
Même bien optimisées, les quelques minutes inter-tours ne permettent qu’une détente éclaire du corps et une relaxation profonde.
La clé pour passer plus de 3 nuits dehors sera de se servir des phases de course pour entrer en auto-hypnose.
Certains parlent de « dormir en courant ».
On devrait plutôt parler d’hypnose induite par le mouvement répétitif des pas.
D’autant qu’à la Big Dog’s Backyard Ultra, le parcours change la nuit pour ne rester que sur la route (la faute à des bébêtes nocturnes peu fréquentables qui se baladent dans le bois).
En amont, le coureur peut travailler son induction et imaginer partir dans un endroit agréable (« la safe place ») pendant qu’il dicte à son corps de poursuivre le mouvement.Il suffit de 10′ d’auto-hypnose bien amenée pour récupérer un cycle de sommeil.


Préserver la lucidité
Quand la fatigue s’installe, le cortex préfrontal — siège de la raison — s’effrite.
Les décisions deviennent émotionnelles : abandonner ou repartir dépend d’un souffle, d’un mot, d’un regard.
Apprendre à se voir penser, à observer les dialogues internes (“je continue / j’arrête”), est une compétence clé.
C’est ce que j’appelle la métacognition de survie.
Les athlètes les plus résistants ne sont pas ceux qui souffrent le moins, mais ceux qui savent reconnaître quand leur esprit leur ment.
Mental tip
L’assistance joue un rôle fondamental dans l’évaluation de la lucidité du coureur.
En 2019, le néozélandais Will Hayward se perd lors de la 60e boucle (la 1ere de la 3e nuit) et se croit chez lui à Hong-Kong.
L’assistance peut détecter un effondrement de la lucidité en posant des questions basiques, comme le protocole commotion le propose en rugby.
> Où sommes nous ?
> Quelle course es-tu en train de faire ?
> Qui sont les gens autour de toi ?
…
Des exercices de respiration peuvent également être proposés pour impacter le système nerveux et retrouver de la lucidité :
- cohérence cardiaque pour rééquilibrer le système nerveux
- respiration carrée pour retrouver de l’énergie

Big Dog’s Backyard Ultra : les dessous de la préparation de Ronan Pierre
Durant cette édition (départ le 18 octobre 2025), j’aurai la chance d’assurer l’assistance de Ronan Pierre, quatrième marque française avec 80 tours.
J’observerai de près comment un mental préparé à l’extrême peut encore se réinventer.
Ronan partage déjà dans son journal de course une phrase que j’aime beaucoup :
“Oser rêver.”
Derrière ces deux mots, tout est dit.
Parce que dans cette épreuve, le rêve est plus fort que la douleur, et la foi plus tenace que la raison.
Pour ceux qui veulent suivre sa préparation, je vous recommande ses articles :
👉 Ronan Pierre – Carnet de boucles
Conclusion – Une course miroir de l’âme
La Big Dog’s Backyard Ultra n’a pas de ligne d’arrivée. Mais elle offre une vérité rare : celle du face-à-face avec soi-même.
On ne la finit pas.
On s’y découvre.
Chaque tour est une vie miniature : on naît, on lutte, on meurt, puis on repart. Et tant que la cloche retentit, on renaît encore.
Comme dit Laz :
« La partie la plus difficile du parcours, ce sont les 2 mètres entre la chaise du coureur et l’aire de départ. Il faut avoir la force mentale et la volonté de gagner, pour continuer de te lever et aller sur la ligne, quels que soient les hauts et les bas, dans ton esprit ou ton corps. »
C’est peut-être ça, au fond, la promesse de cette épreuve : nous rappeler que « chacun peut y être son propre héros et atteindre son propre impossible » (Laz).
Pour suivre l’édition 2025 de la big dog’s backyard ultra
Départ le 18 octobre au petit matin.
Un live H24 sera diffusé sur la chaîne Youtube @backyardultrachannel.
Lien vers le classement live à venir