La Course des étoiles à ses origines
La Course des étoiles, c’est une idée un peu dingue d’une poignée d’illuminés de relier Bagnères-de-Bigorre au Pic du Midi par les pentes les plus raides du coin.
On est dans les années 80 à une époque où le mot « trail » n’existait pas encore et l’équipement se résumait à un short moulant en lycra et à un débardeur informe. A l’époque, on s’arrêtait à La Mongie dans un aller très engagé parce qu’on ne pensait pas que le retour était possible dans la journée.
Depuis les courses à rallonge se sont démocratisées, le niveau est monté et la Course des Etoiles est née.
La Course des étoiles dans sa version 2024
Un tour du propriétaire
Pour l’édition 2024 de cette Course des Etoiles, pas possible de grimper au sommet du Pic du Midi en travaux pour accueillir toujours plus de visiteurs. Alors l’organisation a choisi un autre sommet, beaucoup plus sauvage : le Pène det Pouri.
Tout d’abord un grand MERCI à l’organisation et aux bénévoles de nous avoir proposé une course audacieuse sur un parcours qui fait froid dans le dos, aussi aérien qu’engagé. On n’a pas gagné en facilité dans ce « parcours de repli », bien au contraire. Après le lac d’Ourrec, on quitte le sentier balisé pour s’aventurer en hors piste dans des thalwegs sauvages à souhait. Une expérience authentique de la montagne.
Quand t’arrives à Sencours et que tu prends conscience que tu as fait 4000m de D+ en 40 kilomètres, tu te dis qu’on flirte avec les standards ariégeois pourtant réputés hors-norme.
Tu ajoutes au cocktail des paysages à couper le souffle et une météo au beau fixe (ouf sinon ça aurait été un carnage) et tu obtiens la recette de l’une des courses les plus originales sur ce format.
Il ne reste plus qu’à sortir les jambes… Et c’est là qu’arrive le problème.
Des fois, les planètes ne s’alignent pas
Tout allait bien jusqu’à ce que j’attrape un virus grippal 2 semaines avant le départ. Ça a trainé en longueur au point que le médecin m’a mis sous antibiotiques trois jours avant.
Sur la ligne, j’ai les jambes en coton et le palpitant au taquet.
Bizarrement sur un 100 miles, ça ne m’aurait pas effrayé. La distance est suffisamment longue pour laisser le temps au corps de s’adapter.
Mais là, avec la 1ere barrière horaire très serrée au Chiroulet, on va partir comme des balles, de nuit et je vais vite savoir si c’était une idée à la con ou pas.
Ce projet, c’est une idée commune avec Nico qui a un pied-à-terre dans les flancs de la vallée de Lesponne. On s’était retrouvé en juin pour une reconnaissance commune de trois jours, réalisée dans le froid et le brouillard. On avait alors pris la mesure de ce qui nous attendait : un défi physique comme on en avait rarement connu sur ce format de course.
La Course des étoiles : du départ au Chiroulet
Une idée à la con ?
5h30.
Une ambiance festive règne dans le parc des Vignaux à Bagnères-de-Bigorre. On part en fin de peloton avec Nico et très vite il me distance.
Comme prévu, je me pose pas mal de questions durant les deux premières heures : j’ai mal au ventre au point de m’arrêter trois fois sur le bas côté pour me soulager (merci la nuit noire). Impossible de manger. Des crampes me tétanisent les mollets dès les premières rampes.
C’est mal engagé cette affaire.
Sans m’affoler, je me répète que mon unique intention est de rejoindre la 1ere barrière horaire au Chiroulet, peu importe le temps que je mettrai. Ça me prendra 6 heures, peut-être plus. J’aurais fait une trentaine de kilomètres et profité de vues splendides. Je serais satisfait de ma journée et j’aurais fait avec les moyens du jour.
Et si c’était possible ?
Est-ce le levé de soleil incroyable ou les nombreux petits ralentissements ici et là qui me permettent de reprendre mon souffle ?J’ai du mal à le croire pourtant je parviens à trouver un équilibre. Je plafonne mais je suis très régulier.
Quand je passe au col de Tos sur mon temps prévisionnel – à 500 mètres sous le pied du Montaigu – je commence à y croire.
Au sommet, c’est un peu le cafouillage avec un engorgement à l’entrée de la crête où est positionné le pointage (ça aurait été plus judicieux de le placer au sommet).
La crête du Montaigu
Chapeau bas encore une fois à l’organisation qui a sécurisé tout le passage très aérien (ça dure 100 mètres ? 200 mètres ?) avec des cordages et des guides de montagne tous les 10 mètres.
Sacré boulot !
Les guides me tranquillisent.
— Laisse-toi guider et mets tes pieds comme je te dis.
Je me contente de suivre les instructions, de respirer un grand coup et de me répéter que j’ai une chance incroyable d’être là.
L’épreuve se passe sans encombre et me voilà prêt dix minutes plus tard à me lancer à la poursuite de Nico dans la longue descente jusqu’au Chiroulet. Il me reste plus d’une heure. Je vais la passer cette BH, c’est sûr.
La Course des étoiles : du Chiroulet au col de Sencours
Ça ne redémarre pas
En bas, je suis bien émoussé et le redémarrage pour 3 heures de montée se fait dans la douleur.
Plus de gaz.
Je m’accroche à l’idée que Nico est devant. Il monte mieux que moi mais il s’arrête plus souvent. Je me dis que si je ne fais aucun arrêt, j’ai une chance de le croiser lors de l’aller-retour au Pène det Pouri, deuxième gros chantier du jour.
Je vis un calvaire jusqu’à Ourrec (à mi-pente). Puis la course quitte la voie normale pour s’enfoncer dans un cirque hors sentier.
Un monde à part
C’est la première fois que je fais l’expérience du silence absolu, malgré la présence de la course. Un endroit reculé, solennel, mystique où la nature te tient en respect.
Je progresse les yeux écarquillés et le dos arc-bouté sur mes bâtons dans l’alternance des murs à grimper.
Une féérie.
Une claque aussi.
Pas d’air pour respirer. Après avoir grelotté dans l’air froid du Montaigu, je cuis sur place avec le Pène en visuel, narguant le thalweg de sa hauteur.
Autour de moi, les coureurs tombent comme des mouches, asphyxiés par l’effort, allongés dans l’herbe grasse, le regard dans le vague.
Je prends conscience que je suis peut-être en train de faire quelque chose de pas mal… Et que Nico est en train de sortir la course de sa vie !
Pas de trace de sa présence au Pène. Mais il a combien d’avance ?
Rappel de ce qu’est la semi-autonomie en montagne
La vue au sommet est l’une des plus belles des Pyrénées. Le Tourmalet, le Néouvielle, la chaîne de Gavarnie en fond, l’Ardiden à droite. De l’autre côté le Montaigu en pointe pour nous rappeler d’où l’on vient et le pic du Midi en cible pour plomber le moral des plus vaillants.
La redescente est tout aussi sauvage, en semi hors-piste. La sortie du Lac Vert droit dans la pente finit d’achever le peu de réserve qu’il me reste et je me retrouve à sec malgré les 2,5 litres d’eau emmenés depuis le Chiroulet. J’ai vu trop juste comme les dizaines d’autres allongés à plat ventre pour récupérer un peu d’eau dans le petit filet qui alimente le Lac Vert.
Tant pis, je ferai sans.
Une barre, 3 gorgées et un sourire
Le sourire d’Anne-Lise venue à ma rencontre au Col de la Bonida vient me remettre en selle jusqu’à Sencours.
— T’es en avance sur tes prévisions dis donc ?
J’avoue que je ne regarde plus ma montre depuis longtemps.
— Ah bon, combien ?
— Une bonne demi-heure, trois quart d’heure !
J’écarquille les yeux et fais une moue qui en dit long sur ma surprise.
La Course des étoiles : du col de Sencours à l’arrivée
Le D-, ça casse les cuisses
Bon maintenant, ces histoires de BH sont derrière moi. L’idée, c’est de terminer ce chantier. L’idée me réchauffe le coeur. Et ça me ferait plaisir de terminer avec Nico. Je vais pousser un peu dans la descente.
La cabane d’Arizes arrive très vite. Toujours pas de maillot bleu à l’horizon.
Waw, je suis impressionné par ce qu’il est en train de réaliser le bougre.
Le Col d’Arizes qui suit me plait aussi peu que celui d’Aoube. Ça monte sans monter, ça traine en longueur, on n’en voit jamais la fin et surtout, je me sens nul face à tous ceux qui arrivent à le passer en puissance.
La suite n’est pas plus facile : 1500 mètres de dénivelé négatif sur 9 kilomètres finissent d’achever des quadris déjà bien entamés. Cette fois, ce sont les troisièmes relayeurs partis à mi-pente qui sont intenables. J’ai l’impression de me faire enrhumer à chaque dépassement.
Et toujours pas de Nico alors que d’habitude je descends plus vite que lui.
Alors là l’ami, tu as toute mon admiration !
Beaudéan… Je suis à cran
13h de course.
Je franchis la route de la vallée de Lesponne pour m’engager sur le dernier tronçon en direction de Beaudéan. La nuit va tomber dans une demi-heure tout au plus.
A ma gauche se dessine le Petit Monné. Un demi KV droit dans le pentu avec des passages à 30%. On approche des 65 kilomètres de course et je n’ai plus de jus, plus de cuisse, plus envie. J’aimerais que ça s’arrête là.
Ça suffit comme ça. J’en ai eu assez.
Je regarde encore ce Petit Monné et une boule envahit ma gorge. Toute la colère et la frustration accumulées ces dernières semaines dans des expériences de vie éprouvantes remontent à la surface. J’en veux à la terre entière. Tout est source de révolte.
Non je ne me laisserai pas faire, et ça commence par toi, Petit Monné. Tu vas voir. Si tu crois que tu vas me mettre à terre, tu te trompes.
Je pleure un grand coup, avale deux cocas au ravito de Beaudéan pour ne pas m’alourdir et attaque ce demi KV le couteau entre le dents.
A nous deux, Petit Monné
Je ne suis pas le seul à être dans cet état d’esprit : une demi-douzaine de personnes me doublent dès les premiers hectomètres, pressées d’en finir.
A l’entrée du sous-bois, l’obscurité nous force à allumer la frontale. Nous jaugerons notre progression à l’enfilade des points lumineux.
Une croix sur un arbre pour indiquer que l’on quitte le sentier balisé et la partie drôle commence.
La respiration s’accélère, le cardio s’emballe, une sensation désagréable d’asphyxie comprime ma poitrine. Le champs de vision se restreint à mes pieds et aux marches herbeuses à escalader, les unes après les autres. Devant moi, ça plafonne. L’écart se stabilise.
Et si Nico était parmi ces gens ?
Le défi physique ultime
A notre reconnaissance commune en juin, il m’avait mis un vent sur la 1ere moitié avant de coincer à mi-pente. Je l’avais rattrapé et déposé dans la partie déplumée, galvanisé par la force du lieu.
Ce soir, je n’ai que des Nico devant moi et je vais tous les bouffer.
J’appuie toujours plus fort sur mes bâtons et le scénario de juin se reproduit. Je dépasse tout le monde, le mors aux dents. Quand la vue se dégage, je me retourne. Une vingtaine de frontales sont à mes trousses mais seule une parvient à suivre mon rythme. Le type râle comme un putois et ça m’énerve alors j’en remets une couche.
L’écart grandit inexorablement… avec les autres sauf avec lui. Une vraie sangsue.
Tant pis.
Parvenu au sommet, je lache un cri de rage. Je viens de grimper en moins de 45’. Mieux qu’en juin. Je n’en reviens pas.
Faut terminer le travail
A la bascule, mon poisson pilote passe devant et me remercie chaleureusement de l’avoir tracté jusqu’en haut avant de prendre la poudre d’escampette.
Tu ne crois quand même pas que tu vas t’en tirer comme ça mon grand !
Je passe la seconde et comble les 50 mètres d’écart en une dizaine de minutes.
Mais le garçon a mangé du lion. Il accélère avec les kilomètres. Je me cale dans son sillage et allonge les jambes jusqu’à l’entrée de Bagnères-de-Bigorre.
La course se transforme en corrida débridée.
A ce petit jeu, je manque de vitesse et me contente de garder mon acolyte en point de mire pour ne pas me perdre dans le dédale des rues sombres.
Les applaudissements, les lumières, le parc, l’arche.
Les étoiles dans les yeux autant que dans le ciel, je me fais remettre la médaille de finisher. Je viens de boucler ce chantier en 15h. Dans le meilleur des scénarios, j’imaginais en mettre 16h30. J’ai du mal à réaliser ce qui vient de se passer.
La Course des étoiles : épilogue
Et Nico dans tout ça ?
Transi par le froid qui envahit tous mes membres, je cherche Nico dans la foule massée autour du couloir d’arrivée.
Tiens un appel de sa part à 17h30 ? Pourquoi ?
— Mais t’es où ?
— A la voiture, je te rejoins.
— T’es arrivé à quelle heure ?
— Dans l’après-midi.
Je ne comprends plus rien.
Nico m’explique qu’il n’a pas passé la barrière de Sencours.
Il était donc derrière !
— Je pense que tu m’as doublé au sommet du Montaigu.
Son histoire
Au Montaigu, normalement, on doit passer au sommet puis redescendre 30 mètres pour pointer à l’entrée de la crête. Nico s’est posté au sommet pour prendre des photos.
J’arrive 5’ après. Des gens coupent directement vers le pointage en court-circuitant le sommet. Irrité, j’en fais autant… Et je le double sans le voir.
Ce comportement crée un gros engorgement au pointage et le système finit par planter… une dizaine de places derrière moi. Nico s’est retrouvé bloqué 20 minutes, le temps que la situation revienne à la normale, et il a ensuite poussé comme un dingue dans la descente pour arriver à passer la BH avec 4 petites minutes de marge. Mais il a jeté toutes ses forces dans la bataille. Il a ensuite explosé dans la montée au Pène det Pouri et a raté la barrière de Sencours pour 10’.
On s’est répété que s’il n’avait pas pris de photos au sommet (il y est resté 5′), il aurait sûrement fini la course. Ça se joue parfois sur des détails…