Dans la nuit du 14 au 15 juillet 2020, Erik Clavery a bouclé la traversée des Pyrénées de Banyuls à Hendaye par le GR10 en 9 jours, 9 heures et 14 minutes, un périple de 900 kms et 55000 m de D+, explosant le record de Thierry Corbarieu de près de 3 jours !!! Zoom sur un exploit bien au-delà de l’entendement.
En l’absence de courses à se mettre sous la dent, les élites du trail se sont lancés dans des défis tous plus fous les uns que les autres. J’aurais pu vous parler de la tentative de record de Xavier Thévenard sur la traversée de la Corse par le GR20, signant la 3e marque de l’histoire devant celle de Kilian Jornet. J’aurais pu m’apesantir sur l’impressionnante performance du trio Curmer / Kern / Robin sur le GR5 ralliant Chamonix à Briançon à une vitesse fulgurante ou encore celle de la crème de la crème de chez Salomon emmenée par François D’Haene sur un relai magique de l’Alsace à Nice. Mais de très loin, je préfère vous partager mon coup de cœur pour Erik Clavery, de l’homme lui-même à son projet Pyrénéen, de la genèse à l’aboutissement.
La rencontre
J’ai découvert Erik en février cette année au cœur de la Charente-Maritime par une matinée ensoleillée. Je débutais le premier jour de stage pour devenir ambassadeur Running Yogis, ne sachant pas dans quelle aventure je venais de m’embarquer, et j’eus la belle surprise de découvrir qu’Erik Clavery était le parrain de notre promotion. Il avait fait le déplacement pour se présenter, expliquer sa démarche et s’était largement étendu sur ce projet de traversée des Pyrénées qui le prenait déjà bien aux tripes.
Comme tous les stagiaires, il s’appliqua à suivre les enseignements denses et bienveillants de Pascal et Bénédicte, les deux boss de Running Yogis, affichant une humilité étonnante pour un athlète de son envergure. Juste pour resituer le contexte, Erik Clavery sortait du championnat du monde de 24h (une boucle de 1km à réaliser le plus de fois possibles en 24h) avec une 4e place et un record de France avec 272,217 km réalisés. C’était en octobre 2019 à Albi.
Le projet d’Erik Clavery
Puis vint le confinement que l’on connait tous. Chacun chez soi et tous les projets outdoor divers tombèrent à l’eau les uns après les autres. Erik ne baissa pas les bras et continua de s’entraîner quotidiennement dans sa maison nantaise avec les moyens du bord, conservant cette même ferveur pour le rêve qui l’habitait depuis déjà des mois. Son choix pour le GR10 n’était pas non plus un hasard, une lubie de champion jetant son dévolu intéressé sur un nouveau record à battre pour inscrire son nom durablement sur des tablettes. Non, Erik a une histoire familiale avec les Pyrénées qu’il a arpenté dès son plus jeune âge et cette traversée lui tenait à cœur, plus que n’importe quel autre parcours.
Il déplaça judicieusement la date de départ au crépuscule d’une nuit de pleine lune le 5 juillet et élabora sa stratégie : l’équivalent d’un UTMB en première étape, puis des journées de 80 / 90 kms avec des nuits de 4 heures pour « récupérer ». Rendez vous compte : rien que la première étape, c’est un départ à 18h, une nuit blanche et un objectif d’arrivée à Bolquère moins de 30h après. C’est ni plus ni moins que les 100 Miles Sud de France à l’envers (que j’ai bouclé en 42h et avec une récupération de quelques mois derrière ) en guise d’amuse-bouche.
Côté logistique, il prévoyait un suivi par sa femme et ses proches en camping-car, plus un kiné à chaque pause et un météorologue pour le guider aux travers des pièges des intempéries. Un large partage sur les réseaux sociaux pour haranguer les foules et les inviter à l’accompagner sur sa route et c’était parti.
L’aventure partagée
C’est ainsi qu’en compagnie de mon fils ainé, je me suis retrouvé un 10 juillet en haut du col de la Coume de Bourg dans le Luchonnais à attendre son passage pour courir quelques kilomètres avec lui. Une expérience aussi émouvante qu’impressionnante.
Le chemin de croix
Erik est arrivé marqué par l’effort accompagné de deux lièvres de haut vol. Le profil choisi majoritairement en descente révélait tout le poids des kilomètres déjà accumulés (près de 450). Sa démarche lourde et ses grimaces trahissaient des muscles déjà bien douloureux. Une attelle à la cheville venait compenser péniblement une entorse contractée dès le premier jour dans le rude contournement du Canigou. Les voyants étaient loin d’être au vert et pourtant Erik me tenait un discours résolument optimiste. Il était émerveillé par les capacités du corps à s’adapter malgré les pathologies naissantes, les carences et le manque de sommeil. Il mena intelligemment sa descente en accord avec sa lucidité du moment et goûta avec le plus grand plaisir une pause aux Granges d’Astau, entouré par tout son staff aux petits soins pour lui.
La résurrection
Juste 15′ le temps d’engloutir un repas préparé par sa chère et tendre et il repartit de plus belle dans une côte de 1000 m de D+ à 20% de moyenne. Quelle ne fut pas ma surprise de le voir haranguer ses lièvres pour accélérer encore et encore. Il ne fallut pas longtemps pour que nous décrochions, mon fils et moi, tant la vitesse ascensionnelle était insoutenable (plus de 1000 mètres par heure au 5e jour de la traversée, à la 5e côte du jour du même acabit !!!!). Phénoménal ! J’ai pris à ce moment-là toute la mesure du champion qu’il était. Un phénix ressuscité de ses cendres.
De mal en pis
Il ne connut pas que cette malheureuse entorse comme déconvenue. Le dernier tiers fut assez houleux avec une lourde chute (sa tête a cogné un rocher recouvert de mousse et sa hanche lui faisait mal jusqu’à l’arrivée), son camping-car devenu récalcitrant dans les franchissements des cols, l’obligeant de se passer d’assistance à Cauterets, de la boue jusqu’aux genoux en entrant dans les Pyrénées Atlantiques, ralentissant considérablement sa vitesse moyenne et attaquant des pieds déjà bien affaiblis par l’humidité prolongée auxquels ils étaient exposés. Les kilomètres devinrent de plus en plus long, les levés en pleine nuit de plus en plus rudes. Les derniers jours, tous les positivismes de mise ne résistèrent pas à des terribles coups au moral. Bardé d’abnégation et obnubilé par son objectif, Erik Clavery repartait encore et encore au combat, entouré d’une quinzaine de pacers dévoués à sa cause.
La délivrance
Les derniers kilomètres furent interminables. Habitué à conclure ses étapes peu après la tombée de la nuit, il rallongeait ses journées pour tenir la cadence infernale d’un record à moins de 10 jours. Hormis une sieste de minuit, Morphée ne lui ouvrit les bras qu’au petit matin de la dernière nuit. Il se battit jusqu’à 3h30 pour arriver sous des tonnerres d’applaudissement à Hendaye, fatigué, usé jusqu’à la couenne, mais heureux.
Je vous invite à visionner la vidéo de son arrivée, d’une émotion intense. L’aboutissement d’un projet immense en plein cœur d’une chaude nuit basque. Encore bravo Erik Clavery pour nous avoir fait vibrer comme tu as su le faire. Merci pour le partage, pour ta disponibilité et ton humilité. Une chance incroyable que d’avoir pu croiser ton lumineux chemin sur fond de yoga et de course à pied. Namasté !
Magnifique récit Seb 👏🏼, avec une grande simplicité qui me donne des frissons et une larme de bonheur pour Erik 🙏
Merci Cindy ! Heureux d’avoir pu transmettre ces émotions si fortes que j’ai ressenties à ses côtés.
Incroyable, quand le physique et le mental sont à ce niveau, on se dit qu’absolument rien n’aurait pu l’arrêter.
Merci Seb de participer à la mise en lumière de cet immense champion.
Avec plaisir yann Bill ! 100% d’accord avec toi, rien n’aurait pu l’arrêter mais il a su puiser aussi ses ressources ailleurs que dans la pure volonté et le mental : il a su capter l’énergie de toute la communauté qui l’a suivi et porté !
Ce récit est rempli de lumière,on a l’impression d’y être.
Quel champion,toutes les aides en dehors du physique lui ont permis d’arriver à ce niveau. Bravo.
Merci Florine Erik est une belle personne qui a compris que l’on n’est rien sans les autres. Il reçoit autant qu’il donne. Un bel exemple de générosité !
Superbe article Seb 👍. J’en ai encore des frissons d’émotions. C’est juste dingue ce qu’il a accompli. Quand je pense que je vais faire le Marathon des Sables en septembre et que ça me parait énorme 😂. Bises Seb
Merci Seb Oui c’est hallucinant ! Je viens d’apprendre que le MDS était annulé cette année, je suis navré pour toi
WHERE IS A WILL THERE IS A WAY …
J’aime aussi celle-là : celui qui a un » pourquoi » qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’ importe quel « comment »
Merci pour ce très bel article et ce bel hommage envers un athlète et un homme plein d’humilité. Erik m’a surpris tout au long de ces 9 jours par son humilité, sa simplicité, sa vélocité et sa lucidité … incroyable !
Nous recevrons la Team Running Yogis à Madagascar en, 2021 pour notre Ultra (UltraMad), en espérant qu’ils puissent venir avec Erik dans leurs valises
Merci Mahay Expédition !
Effectivement, je crois que c’est peut-être ce qui m’a marqué le plus chez lui : un homme capable de réaliser des choses immenses tout en restant humble et accessible au plus grand nombre.
Ce serait effectivement un chouette ambassadeur pour l’UltraMad !