Arrivée au GRP Tour des Lacs 2023

GRP Tour des Lacs 2023 – l’apocalypse

Cette course du GRP est venue ponctuée une semaine bien dense de bénévolat  décrite ici, écoulée sous un soleil de plomb. Elle devait être une formalité pour quelques tests grandeur nature en vue de la Diagonale des Fous en octobre. Ça a pris une autre tournure.

Note : Je vais faire de nombreuses références aux événements et aux gens rencontrés à ce moment-là. Je vous conseille de lire cet article sur les coulisses du GRP avant.

Le parcours du GRP Tour des Lacs 2023
Crédit grandraidpyrenees.com

GRP : l’avant-course

Au gîte

A 3 heures du matin, j’ouvre la porte du gîte d’Aragnouet mis à disposition par le GRP et je déchante. Il pleut des cordes. Parfois, ça donne l’impression de se calmer un peu avant de repartir de plus belle. Une légère brise vient me saisir. J’ai la chair de poule et je referme. La journée va être longue. Je déjeune en silence et les Charbonnel me rejoignent, partageant la même inquiétude que moi. On débat sur le tenue à avoir. Je leur propose un poncho que j’ai dans le coffre de ma voiture. A peine le temps de faire l’aller et retour sur le parking à 50 mètres, je suis trempé et mes lunettes sont crépies de gouttelettes d’eau.

Je ne le sais pas encore, mais à ce moment-là, je vais prendre deux décisions qui vont me sauver la vie :

  • Je troque mes lunettes contre des lentilles avec le risque de ne pas les supporter avec le vent. Tant pis. J’aurai mes binocles bien au chaud au fond du sac au cas où.
  • Je prends 2 tee-shirts et une polaire de plus.

Je pèse le sac.

5kg.

Ouch ! Le max du max que je m’étais autorisé. Mais je ne vois rien de superflu dans ce que j’ai emmené.

Je quitte les Charbonnel en leur souhaitant bon courage et me voilà à 4h40 à Vielle-Aure sur un des parking en herbe aménagé pour le GRP. Plus de poussière virevoltant au vent comme la veille, au moins on va pouvoir respirer. La pluie s’est calmée. J’hésite presque à ranger la veste de pluie. Presque…

A Vielle-Aure

Arrivé sur la place du départ, je suis surpris de voir qu’elle n’est pas bondée. A part des prétendants à la victoire collés à la ligne, les autres sont éparpillés sous tout ce qui peut servir d’abri. On n’est pas censés être 1600 ?

Robin le speaker s’égosille au micro pour nous faire sortir de nos trous et nous dire que tôt ou tard on allait être mouillés. Madame le Maire prend le micro à son tour pour nous souhaiter une meilleure météo parce que « ce n’est pas possible d’avoir de la pluie en continu« .  Enfin Simon le big boss fait état de la situation :

Ca a bougé depuis hier. Je vous ai dit qu’il y avait un risque de ne pas monter au Pic. Ce n’est plus le cas. Le vent est tombé. On n’annonce pas d’orages. Par contre, vous allez connaître une alternance de rincées comme celle-ci toute la journée.

Autour de moi, je vois des gens en petits shorts et débardeurs côtoyer d’autres avec des pantalons de pluie et des ponchos. Qui a raison ?

La pluie redouble, le décompte est lancé. Les coureurs finissent par se tasser à contre-coeur derrière la ligne et c’est parti pour ce GRP Tours des Lacs 2023.

Départ du GRP Tour des Lacs 2023
Credit photossports.net

GRP : du départ à Merlans

La montée au Pla d’Adet

Je pars tranquillement avec la certitude de passer la barrière horaire de Merlans. De toute façon, j’ai l’état de fraicheur d’une bourriche d’huitres laissée trop longtemps au soleil. Je me retrouve très vite dans les 100 derniers. Le peloton est compact. Personne n’est décroché et j’arrive même à apercevoir les frontales des Charbonnel un virage en-dessous.

Courir en groupe n’est vraiment pas ma tasse de thé. J’apprécie modérément les crachats, rots, pets et autres intrusions forcées dans l’intimité d’inconnus collés à moi.  J’appréhendais aussi les chants, musiques et autres débats endiablés qui me font l’effet d’une bombe. C’est peut-être le seul moment de la course où j’ai autant apprécié la pluie. L’énergie des surexcités douchée par les intempéries, la capuche sur les oreilles comme une carapace contre des agressions qui ne vinrent pas. L’averse invite chacun à l’introspection et honnêtement j’adore (suis-je le seul ?).

J’ai vécu cette grimpette en forêt comme une jolie balade humide et nocturne. Tout aurait été pour le mieux si le ciel ne s’était pas illuminé par intermittence.

Je n’ai quasiment pas utilisé ma frontale dans cette montée, et pas seulement parce que j’étais bien encadré par des phares de camion. Aussi parce que le ciel n’augurait rien de bon. Il suffisait de lever la tête pour profiter d’un spectacle son et lumière. L’autre n’avait pas dit qu’il n’y aurait pas d’orage ? Je ne m’inquiète pas plus que ça. Ça a l’air haut dans le ciel et décalé vers le sud. On devrait passer à côté.

Sur les pistes de ski

On sort de la forêt et l’histoire prend une autre tournure. Plus d’arbre pour nous protéger, on évolue désormais sur des pistes de ski exposés au vent. En plus d’être trempés, nous sommes saisis par l’air certes modéré, mais qui vient ajouter une sensation de froid à celle d’humidité. La pluie nous arrive maintenant légèrement de face, nous obligeant à rentrer la tête et courber l’échine.

Au sommet de la station de Pla d’Adet, les averses se calment et mon horizon s’ouvre à nouveau. La vue m’amuse beaucoup. Non, ces petits shorts de course très fins ne couvrent plus rien quand ils sont trempés. Encore plus quand ils sont jaunes ou verts fluo. J’assiste à un concours de tee-shirts mouillés. Je me demande bien comment font ces hommes et ces femmes pour ne pas être frigorifiés. Et je n’avais pas encore tout vu…

On dépasse la cabane de Torte (qui n’existe plus que sur les cartes) et l’orage reprend de plus belle. Il est toujours assez haut dans le ciel mais il est calé sur les sommets juste à notre gauche. La pluie tombe drue et le vent souffle désormais de face. J’ai du mal à maintenir ma température corporelle et décide d’accélérer un peu pour me réchauffer.

Pistes VTT Saint-Lary

Le déluge dans la dernière montée

A hauteur du restaurant des 3 guides, au pied de la dernière rampe vers le col de Portet, les intempéries prennent une autre dimension. Le vent souffle désormais en rafales de face et la pluie nous cingle le visage. Entre 60 et 80 kilomètre heure. Le ciel est zébré toutes les 5 secondes et pour la première fois je n’ai plus de sensations dans les genoux, seule partie de mon corps encore exposée à l’air. Trop tard pour m’arrêter et enfiler un pantacourt. Certains arrêtés sur ma droite tentent la manoeuvre mais sont à deux doigts d’échapper leurs affaires au vent. Je lis la peur sur les visages.

Mais dans quoi s’est-on embarqués ?

Devant moi s’étire une procession en rangs serrés comme le feraient des pingouins sur la banquise. Je rattrape deux personnes en plein conciliabule :

– Je ne prends plus de plaisir là.

– Oui, là franchement, c’est la galère.

– Je crois que je vais arrêter.

De mon côté, je reste concentré sur ce que je suis venu chercher : une expérience en conditions réelles pour la Réunion, et au moins je suis servi. Rester dans ma bulle jusqu’à Merlans et faire une vraie pause pour me changer et me réchauffer.

Pour la première fois, je croise des gens qui font demi-tour, le visage fermé avec une pointe de colère. Ils n’ont rien d’autres qu’une belle fracture au mental, me dis-je. C’était bien présomptueux de ma part, surtout avec ce qu’on allait vivre au col.

L’apocalypse au col de Portet

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Les conditions empirent en arrivant au sommet. Le vent forcit encore et la pluie nous martèle à l’horizontal, à moins que ce ne soit la grêle tellement il fait froid. J’ai l’impression d’avoir des aiguilles qui me transpercent le visage. Je suis courbé en deux pour tenter de progresser. Impossible de courir malgré la descente. Le vent déchainé m’arrache la capuche qui pourtant m’enserrait bien la tête. Je dois la maintenir avec mes deux mains pour qu’elle reste en place.

Je tente de cracher et le truc part à l’horizontal sans jamais atterrir. Certains essaient de s’abriter derrière les cabanes de part et d’autres du parking en attendant peut-être que ça passe (un voeu pieu). D’autres tentent d’uriner et l’opération vire au carnage. Un objet s’échappe du sac d’un coureur vingt mètres devant moi et me passe à quelques encablures avant de disparaître dans les limbes.

Pour la première fois, j’ai peur.

Vite ! Sortir de cette boucherie.

Je dégringole comme je peux les deux cents mètres de dénivelé me séparant de Merlans. J’ai du mal à respirer. Le vent toujours de face relâche à peine sa pression avec l’approche de la terrasse du restaurant. Je n’ai qu’une idée en tête, me mettre à l’abri. Je dépasse les jerrycans d’eau, tourne à droite et là horreur ! La salle est pleine à craquer.

Carnage à Merlans

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - Merlans aller

Nausée et confusion

En face de moi, la salle est bondée comme le métro parisien à l’heure de pointe. Une jeune femme me regarde avec l’air de dire « Bon courage« . A ma droite, une dizaine de types squattent l’arrière-cuisine, un petit couloir habituellement réservé au stockage des boissons. Comme moi, d’autres affluent du col pour se mettre à l’abri et forcent l’entrée.

Pas possible de pénétrer là-dedans. J’en ai la nausée rien que d’y penser.

Je pense à Sylvie qui doit s’inquiéter quelque part à l’intérieur. Je prends la décision de repartir et de m’arrêter au refuge de Bastan pour me changer. Il ne devrait pas y en avoir pour plus d’une heure. Tout est confus dans ma tête. Je ne me vois pas passer le col de Bastanet dans ces conditions. Si c’est la même chose au refuge, je ferai demi-tour. Mais avant d’y aller, il faut que je trouve un moyen d’informer Sylvie.

A la recherche d’un peu de chaleur

En passant devant les jerrycans d’eau, je prends conscience que mes bidons sont vides et je les remplis à la hâte. Pour la bouffe, on verra en route. On fera le point plus tard.

Je remonte la terrasse jusqu’au portique de chronométrage et tombe sur Dominique, calfeutré sous le haut-vent, entre deux piles de chaises.

Rentre par cette porte. Elle est là, me dit-il.

Je me jette à l’intérieur et prends une grande inspiration. J’étais en apnée depuis combien de temps ?

Sylvie et André sont là en train de s’occuper de types très mal en point, tous emmitouflés dans leur couverture de survie, le regard vide.

Je lis le soulagement sur le visage de ma chérie. Je tente de lui expliquer la situation, mais ne sortent que des sons inaudibles de ma bouche. Mon visage est paralysé par le froid. Je réitère, je force… sans succès. Les larmes me montent aux yeux. Je crois que je suis sous le choc de ce qui est en train de se passer. C’est violent. Sylvie s’approche de moi et m’aide à enlever mes vêtements trempés. Je n’ai plus la capacité de préhension malgré mes gants. Je commence à greloter de la tête aux pieds. Sylvie fouille dans mon sac à la recherche de tout ce qui pourrait me réchauffer. Merci la polaire !

Je retrouve enfin des couleurs et lui explique que c’est pire au col. Sur le coup de la colère, je balance qu’ils n’auraient jamais dû donner le départ, que ça va être un carnage, qu’il faudrait tout stopper maintenant (NDLR : je vais revenir sur ce point plus loin).

Illustration – Créateur : Simotion – Crédits : Getty Images/iStockphoto

C’est la crise

Au même moment, André reçoit un appel du PC Course.

Le tour de la Géla est arrêté et la montée au Pic est neutralisée.

Et bien bon courage André pour annoncer ça à tout le monde, vue l’impossibilité d’accéder à la salle.

Sylvie parvient à me ramener une soupe (tellement merci !) et on se sert de la balustrade menant à l’étage pour faire sécher mes affaires.

Tu les récupéreras au retour, me dit-elle.

L’affaire est entendue entre nous. Oui je vais repartir.

GRP : jusqu’à La Mongie

Le passage du col de Bastanet

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - Col de Bastanet

Redémarrage poussif

Alors que je me dirige vers la porte pour affronter à nouveau la tempête,  j’entends « Il ne va pas repartir quand même » lâché par l’un des fantômes agonisant du fond de la pièce. Je préfère ne pas relever et me lancer dans le froid.

Le retour à la réalité est un choc : je suis saisi par la violence de ce vent mordant qui pénètre mes os. Je claque des dents. Pourtant j’ai mis sur moi tout ce que j’avais de plus chaud.

Vite, accélérer le pas pour faire monter la température. C’est vital !

Quinze minutes plus tard, la pluie s’arrête et le vent tombe. Ne reste plus qu’une humidité ambiante sous un ciel chargé. Je n’en demandais pas tant. Je retrouve assez de couleurs pour m’étonner du paysage : le lac de l’Oule quasi vide en contrebas me laisse perplexe. Un coup d’oeil derrière pour voir ce front noir qui s’accumule au-dessus des montagnes de Piau. Pensées pour les coureurs de la Géla qui ont dû être arrêtés. Nous on est toujours en course. Est-ce une chance ? Je ne sais pas mais à ce moment-là, j’ai déjà oublié mes déboires de l’heure précédente. Comme si le cerveau se protégeait en se réfugiant dans le présent.

Au refuge de Bastan…

…Je croise Ludo qui a du mal à me reconnaître dans mon accoutrement.

Y’a du zef là-haut, me dit-il en me montrant le col à venir. J’en reviens, c’est assez dingue.

Difficile de comparer nos expériences. Est-ce pire que ce qu’on vient de vivre au col de Portet ?

GRP Ultra Tour 2022 Col de Bastanet
Le col de Bastanet

Le ciel a l’air dégagé. Devant moi, une file indienne de coureurs me convainc de me replonger dans la course… comme si tout était normal. On est en montagne après tout. Je me cale derrière un groupe et monte encore une fois tranquillement.

Le col approchant, le vent forcit par l’arrière. Les rafales nous secouent comme des pruniers, faisant trébucher les moins stables. Un bouchon se forme. Je sens déjà que mes bonnes résolutions de patience ne vont pas tenir longtemps. En vue du sommet, je prends une trace parallèle et double tout le monde. Le vent est tellement puissant que je n’ai qu’à écarter les bras pour basculer sur l’autre versant. Les contrôleurs sont installés une cinquantaine de mètres plus bas à l’abri des rochers.

Le lac de la Hourquette

Sur l’autre versant du col, le vent n’a pas vraiment faibli et souffle maintenant de trois quart face. Le spectacle au lac de la Hourquette est incroyable. Une houle bien formée avec des creux de 50 centimètres projette des gerbes d’eau sur le chemin côtier, l’inondant de grandes flaques. Une colonne d’eau se forme au centre du lac en quelques secondes et se dirige dans ma direction avant de se disloquer sur le rivage, me trempant de la tête au pied en un battement de cil.

Puis au détour d’une circonvolution du chemin au hasard des reliefs tourmentés du Néouvielle, le vent tombe. Juste le temps de prendre conscience qu’il fait chaud et que le soleil commence à taper. Je suis clairement trop couvert avec ma polaire et ma veste de pluie. Autour de moi, les autres s’arrêtent pour enlever quelques couches. D’autres se contorsionnent tout en maintenant leur rythme. Je tarde à les imiter jusqu’à ce qu’une nouvelle rafale surgisse de nul part et nous saisisse sur place.

Passage au refuge de Campana au GRP Tour des Lacs 2023
Credit photossports.net

Campana

Impossible de savoir comment se vêtir. Je vais donc opter pour l’option zip / dézip jusqu’à la fin de cette épreuve : fermer la veste jusqu’au cou et m’emmitoufler dans ma capuche, puis ouvrir le plus grand possible pour m’apporter un peu d’air. Mes vêtements sont trempés. Est-ce la pluie ou la sueur ? Je ne saurais dire mais c’est très inconfortable.

Au refuge de Campana, à mi-descente, un groupe de bénévoles a la bonne idée d’offrir un ravitaillement « pirate » aux coureurs en même temps  qu’un peu de réconfort. Je m’arrête et je comprends mieux ce qui se passe autour de moi. Les visages sont marqués et les corps fatigués. Une dame frêle dont je ne saurais dire l’âge arrive en tremblant de tous ses membres. Elle est en hypothermie. Un bénévole la prend très vite en charge en la soutenant par les épaules. Elle a un sourire béat rivé sur le visage, comme si elle n’était plus consciente de ce qui se jouait, comme si elle était partie dans un ailleurs qui n’appartenait qu’à elle.

Le Serpolet

Avant la délivrance de La Mongie, un obstacle majeur va déstabiliser tout le monde : le Serpolet. Pas seulement parce que la montée est indigeste et la descente délicate. Non. Ça, ça se gère comme tout défi physique sur un trail long. Surtout parce qu’il va mettre la tête à l’envers à nombre d’entre nous.

Rebondissement n°1

Alors que l’effort est intense dans des pentes à plus de 30%, un bénévole  annonce à la cantonade :

– La course va être arrêtée à Tournaboup !

– Ah bon, pourquoi ? demande un coureur à côté de moi peinant à trouver son souffle.

– On annonce des orages en soirée et vous laisser partir dans le Néouvielle ne serait pas raisonnable.

– On monte au Pic ?

– Non, vous passez Sencours et on vous arrêtera en bas. Ils vous expliqueront tout là-bas.

Je sens de la déception autour de moi. Ça commence à râler. De mon côté, la nouvelle me fait ni chaud, ni froid. Si telle est la décision de l’organisation, je m’y plierai. Eux savent, eux ont toutes les informations. Pas moi. En attendant, la course continue et j’ai envie de bien faire. Autant terminer proprement. J’aviserai quand je serai à Tournaboup.

Le Serpolet par le versant Néouvielle
Crédit entier-libre.blogspot.com

Rebondissement n°2

Dix minutes plus loin, toujours dans cette montée infâme du Serpolet, un autre bénévole fait l’annonce suivante :

La course est arrêtée à la Mongie. La course est arrêtée à la Mongie !

Stupeurs et tremblements dans le peloton. Certains dégainent promptement la boîte à ronchons :

– C’est quoi ce bordel ? C’est inadmissible.

– Ils nous ont fait partir dans des conditions ignobles pour nous arrêter à même pas la moitié, tout ça pour ne pas avoir à nous rembourser.

– Le GRP, c’est des voleurs !

La classe à la française… Je suis tenté de les raisonner en leur évoquant les concepts de sécurité, tout ça, tout ça. Et puis je me ravise. Ça ne sert à rien. Je perdrais mon temps et mon énergie.

Après à leur décharge, il faut reconnaître que la communication est bien confuse. Lequel des deux dit vrai ? Ne sachant pas, je décide de ne pas tenir compte de ce que je viens d’entendre et de poursuivre sur le même rythme sans me désunir.

Le sommet approche. Ouf, je commençais à en avoir marre. Le vent se lève à nouveau mais se maintient dans des proportions raisonnables. Pour preuve, la présence de ce bénévole planté au col.

Très bien, il va nous donner des indications sur l’état de la descente. Va-t-on finir sur le cul comme les années précédentes ?

Rebondissement n°3

Non. Au lieu de ça, le bénévole nous fait une autre annonce :

Ne trainez pas. La barrière horaire est dans trente minutes.

Là c’est moi qui écarquille les yeux. Je regarde ma montre. Il est midi. J’avais retenu qu’elle était à 13h30 en bas et donc qu’on avait tout notre temps. Je me tourne vers lui.

– Vous voulez dire dans 1h30, non ?

– Non, non. Elle a été avancée d’une heure. Dépêchez-vous.

Là, je lève les yeux au ciel. C’est quoi ce chantier ? La seule chose que je comprends, c’est que personne n’a une vision claire de la situation et qu’il vaudrait mieux ne pas trainer en route.

Je commence à perdre en lucidité et mets les bouchées doubles dans cette descente pourtant périlleuse. Si j’avais un tant soit peu réfléchi, je me serai rappelé que je l’avais faite l’an passé en 20 minutes sans forcer. Mais dans l’affolement, je me précipite et manque de m’étaler plusieurs fois dans l’herbe polie par les milliers de passages.

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - La Mongie

Arrivée sur la Mongie au GRP Tour des Lacs 2023
Credit photossports.net

Le ravitaillement

Dix minutes plus tard, je passe la ligne de contrôle de la Mongie.

– C’est bon ? J’ai passé la barrière ? demandé-je à la bénévole.

– Oui, oui, c’est bon. Vous pouvez vous ravitailler.

Reprenant mes esprits, je me hasarde à une question :

– Et les barrières suivantes ?

– Celle de Sencours a été avancée d’1h15, mais celle de Tournaboup n’a pas été touchée.

Je fais un rapide calcul. J’ai maximum 15 minutes pour me remettre d’aplomb et je vais devoir refaire la même montée que l’an passé : à un bon rythme et sans m’arrêter. Finie la course tranquille. Ça prend une autre tournure. Sachant que je n’ai pas de bâtons et que les conditions sont instables, je sens les abeilles monter en moi.

Séb, te laisse pas embarquer par la colère. Adapte-toi et prends les tronçons les uns après les autres. On verra bien ce qui se passera.

J’expire profondément, expédie le ravitaillement et me remets en marche en me disant que chaque mètre parcouru est un mètre gagné pour ma prépa.

GRP : Le passage du col de Sencours

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - Col de Sencours

On quitte la Mongie dans le brouillard. J’aime cette montée, longue et progressive. Pourtant aujourd’hui je suis dans le dur et les sensations ne sont pas bonnes, sûrement la faute au stress de l’heure écoulée. Je n’arrête pas de me faire doubler. Impossible de trouver le bon tempo.

A mi-pente, on sort enfin la tête des nuages. Les paysages sont intimidants : de hautes crêtes rocheuses de part et d’autres nous enchâssent dans un cirque minéral. La file continue de coureurs et la vue dégagée nous projette dans le reste à faire. Je préfère me concentrer sur les baskets du bon samaritain qui me précède et retrouver des couleurs. Les questions fusent dans ma tête.

Comment vont-ils faire pour appliquer la barrière horaire alors que je ne vois aucun trou dans ce serpentin infini de coureurs ?

Comment la météo peut-elle être à ce point exécrable au Pic alors que l’atmosphère est si douce à une demi-heure du col de Sencours ? (le soleil brille et on a presque chaud).

Je n’aurai jamais la réponse à la première. Mais pour la deuxième, je vais vite comprendre. Sous le ressaut qui permet l’accès au col, le vent se fait bien présent. On le prend de face. L’impression de revivre le passage du col de Bastanet, voire pire. Le passage du ressaut demande un peu d’attention et les coureurs devant moi se font surprendre par des rafales qui les déséquilibrent et manquent de les projeter en contrebas sur le virage précédent.

La bâtisse du col de Sencours
Crédit le-bouquetin-boiteux.fr

Vigilance absolue

Plus on progresse, plus le vent forcit. Arrivé sur le faux-plat qui mène au col, je n’arrive pas à me tenir droit. Chaque pas demande un effort terrible. Une nouvelle fois, je dois tenir ma capuche à deux mains. J’aperçois un bénévole qui hurle quelque chose au col mais je n’entends rien. Les barrières censées dessiner un couloir d’accès à la bâtisse abritant le ravitaillement ont toutes été couchées sur le sol. Les rubalises sifflent au vent qui doit maintenant approcher les 100 kilomètres heure. Je fais un pas de face, puis un de côté pour contrer ce souffle insupportable. J’ai l’impression de monter une côte à 40% tellement je force.

Le bénévole continue de hurler des consignes que je ne comprends qu’une fois arrivé à sa hauteur. Je me précipite à l’intérieur de la bâtisse pour trouver refuge. Je regarde l’heure : 25′ d’avance sur la nouvelle barrière qui sera prise en sortie.

Pas envie de trainer ici. Déjà parce que, tactiquement, se remplir l’estomac avant une heure de descente n’est pas l’idée du siècle et puis parce que je ne sais pas ce qui va m’attendre à Tournaboup. Et je crois aussi que je me sentirai plus en sécurité dans la vallée (encore un biais cognitif, surtout quand on sait ce qui va arriver ensuite !).

GRP : Tournaboup

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - Tournaboup

Une soupe au vermicelle plus tard, me voilà reparti dans la longue descente vers ce qui devrait être le premier ravitaillement avec une barrière inchangée. Ou alors vers la fin de la course. Je ne sais pas à vrai dire.

Il suffit de dégringoler 10 minutes pour sentir le vent se tarir. Le contournement du lac d’Oncet se fait paisible. Je prends un rythme tranquille, porté par la gravité, mais assez rapide pour doubler  pas mal de monde.

Le lac d'Oncet
Le lac d’Oncet

L’accalmie offerte par les éléments est de courte durée : un gros nuage sombre et opaque nous attend dans la vallée. Le pénétrer est une expérience désagréable dans un mélange de froid et de pluie. Hop, on rezippe la veste pour se calfeutrer dans sa bulle.

Je pénètre sous la tente du ravitaillement quand le tonnerre se fait entendre. Ça faisait longtemps !

Côté information, les bénévoles n’ont rien de spécial à nous apprendre. La barrière est inchangée et le chemin vers l’arrivée est grand ouvert. Au moins, c’est cohérent avec ce qu’on avait appris dans l’autre vallée. Mais quand je me présente au pointage de sortie, j’ai un mouvement de recul. La pluie redouble et le ciel s’illumine d’éclairs accrochés sur le massif de droite, côté Pic du Néouvielle. Le spectacle est impressionnant. J’apprendrai plus tard que certains coureurs du 120 ont été bloqués pendant 2h30 par l’organisation au refuge de la Glère dans l’épicentre de l’orage.

Encore une fois, sur le 80, on a de la « chance » : on prend une belle rincée jusqu’à Pountou et puis plus rien. Le ciel se dégage et on aurait presque chaud.

Bon, bin, on dézippe la veste en grand jusqu’à la prochaine.

GRP : La traversée du Néouvielle retour

Le bonheur…

Le nouveau refuge d'Aygues Cluses
Le nouveau refuge d’Aygues Cluses

Peut-être le seul moment où j’ai pris du plaisir dans cette course alors que ça avait été mon cauchemar l’an passé. Les coureurs sont plus espacés. Pas de vent, un soleil doux. J’ai encore de l’énergie et même l’envie de relancer sur les portions plates. Le bonheur, enfin ! Je m’autorise à y goûter sans modération car je sais que ça ne va pas durer.

Au ravitaillement d’Aygues-Cluses, je me pose auprès d’Alain qui sert des assiettes de saucissons / emmental. Il m’explique que la tempête a sévi ici aussi. Elle a emporté la tente qui devait leur servir d’abri. Heureusement, les propriétaires du refuge flambant neuf leur ont proposé l’accès à leur cave sinon pas possible de monter le ravito. Dans de telles conditions, l’organisation ne peut tenir debout que grâce à la résilience de tous ses acteurs.

La suite est aussi idyllique : la montée à la Hourquette Nère se fait au train. Pas de vent au sommet. Une vue incroyable sur les lacs du Néouvielle. Un coucou à Marie et Hervé en poste à la cabane de Port Bielh pour affronter la nuit qui s’annonce mouvementée. Je me surprends à courir dans l’horrible descente jusqu’au lac de l’Oule. Au final, je vais mettre 1h30 de moins que l’an passé sur ce tronçon Tournaboup – Merlans. Au moins, j’aurai pris mon pied. Ça c’est fait

Passage à la cabane de Port Bielh au GRP Tour des Lacs 2023
Crédit Marie Poinas

… avec une ombre au tableau

Zoom sur un événement qui m’a irrité : deux types me doublent dans la montée à la Hourquette Nère. Le premier, solide comme un roc, emmène le second, au bord de l’agonie, à l’aide d’une ceinture de traction comme on en voit sur les raid multisports. J’écarquille les yeux.

C’est autorisé ça ?

Déjà, leur manoeuvre de dépassement est plus que douteuse, surtout dans les virages serrés et pentus de la Hourquette. Avec deux mètres de longe, ils embarquent tout sur leur passage. J’ai été obligé de m’arrêter et de m’écarter sur l’extérieur du chemin pour ne pas me laisser happer par le câble.

Ensuite, pourquoi faire ? On voyait clairement que le type derrière était au bout de sa vie. Arrivé au sommet, il a décroché la longe et s’est allongé bras en croix dans l’herbe. Au niveau gestion, on a connu plus malin. Et puis, côté fierté  de l’accomplissement au passage de la ligne d’arrivée, l’expérience est forcément tronquée. Je range ça au même niveau que quelqu’un qui coupe le tracé pour gagner du temps.

Alors, sauf pour permettre l’accès à ce genre d’épreuve aux personnes handicapées (mal voyants par exemple), j’espère juste que ces pratiques douteuses issues du raid ne viendront pas polluer le trail.

GRP : Merlans… le calme avant la tempête

LiveTrail GRP Tour des Lacs 2023 - Merlans retour

Les prémisses de l’instabilité météo apparaissent dès la remontée du lac de l’Oule. Le ciel se charge en un instant, la température chute et je prends une averse de grêle sur le paletot. A peine le temps de greloter 15′,  le nuage s’évacue vers le sud-est et laisse à nouveau place au grand beau.

C’est quoi ce temps ?

Je retrouve Merlans dans une ambiance beaucoup plus calme avec l’immense plaisir de me faire accueillir par l’enthousiasme exubérant de Sylvie. Oui ma chérie tes exclamations sont enregistrées sur chacune des capsules des participants atteignant le ravitaillement. Merci le micro de la webcam

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Ce sera le dernier moment de douceur de cette course. J’imaginais le descente finale comme une formalité. Je me trompais.

GRP : Le retour vers Vielle-Aure

Ça devient crade

Après une montée au col de Portet sans encombre, je bascule sur l’autre versant et rentre rapidement dans la purée de pois.

Retour de l’humidité. Ça je connais depuis ce matin. Ce qui est nouveau, c’est l’état du terrain : pour la première fois, la boue s’invite dans la partie. La convergence de tous les longs circuits à Merlans plus le profil de sentiers à moutons dans des travées en ornière favorisent l’accumulation de boue dans le fond des traces.

Sur le haut de la descente, la poussière accumulée se transforme en pellicule grasse, rendant délicat les appuis. Heureusement la pente est douce mais le rendement de course en prend un coup. Plusieurs fois, mon pied d’appui ripe et je ne dois mon salut qu’à une belle cabriole pour retomber sur mes pattes.

Plus bas, l’humidité s’accumule en fines gouttelettes en suspension et une pellicule liquide vient couvrir la précédente plus grasse. Les appuis deviennent instables. Il va falloir ouvrir grands les yeux pour ne pas se laisser surprendre.

Je croise Julien et Sylvia en charge de reposer des piquets : avec les chutes diverses et variées plus les intempéries, le balisage en a pris un coup (mais combien de fois aura-t-on balisé cette portion cette semaine ?). Ils m’indiquent que ça se gâte plus bas et m’invitent à être prudent. Plus bas, Yann, enquis de la même mission, me donnera les mêmes avertissements.

Je comprends rapidement ce qu’ils ont voulu dire. A quelques hectomètres du Cap de Pède, la visibilité est nulle, la luminosité a dangereusement baissé (je suis trop lent pour envisager de m’abstenir de frontale jusqu’à l’arrivée) et les chemins sont devenus des patinoires. Pas d’autre solution que de m’écarter dans le maquis. Avec de la végétation jusqu’à mi-cuisse, j’ai les jambes trempées.

Le Cap de Pède

Sous un soleil de plomb au Cap de Pède

La bascule au Cap de Pède est pire que tout : une pente à 30% avec plusieurs  toboggans de boue au centre et de l’herbe lustrée sur dix mètres de large de part et d’autre. Mon prédécesseur opte pour la gauche et finit sur les fesses. Je repère des buissons quelques dizaines de mètres plus bas à droite du chemin peu avant un coude. Je me lance, mouline des pieds le plus vite possible. Rien ne tient, c’est horrible. Impossible de m’arrêter. Impossible de tourner. Je pars tout droit et me jette dans les buissons qui stoppent mon élan. Je suis resté debout et j’ai passé le plus dur, c’est déjà ça.

Mais je ne suis pas au bout de mes peines.

Le brouillard laisse place à l’orage, le fameux annoncé depuis ce matin. Plutôt chanceux d’être aussi bas dans la pente. Une nouvelle fois le ciel est zébré toutes les 5 secondes et un déluge s’abat sur moi. Impossible d’y voir clair avec le cône de lumière de la frontale bloqué par le mur de gouttes qui se forme devant mes yeux. Je distingue au dernier moment un cheval en travers du chemin. Un cheval ???? Faut-il encore s’étonner ?

Aux abords de Soulan, j’aperçois Erik Clavery à l’abri sous les arbres. Je m’arrête et tente d’entrer en communication avec lui. La scène est cocasse : il n’arrive pas à me reconnaître. Il faut dire que j’ai à peine forme humaine et que les intempéries n’arrangent rien. Sa femme est partie chercher un ami en perdition sur le plateau. Bon courage à elle !

Soulan

En général, le village de Soulan marque le début de la délivrance avec son entrée dans les sous-bois et sa large piste forestière en pente douce.

Pas là.

Avec la pluie qui tombe drue, les chemins se transforment en torrents. A chaque foulée, des gerbes d’eau giclent sur les côtés. Avant de s’engager dans les raccourcis, des bénévoles stoïques sous le rideau de pluie nous mettent en garde contre l’état des sols. En fin de compte, le flot est tellement puissant qu’il nettoie le chemin et met à nu les pavés. On est peut-être trempés mais on voit où on met les pieds.

A Vignec, la scène est surréaliste

Orage
Illustration

Alors que le spectacle son et lumière est à son paroxysme au-dessus de nos têtes, l’eau dévale en travers de la route en dévers et s’accumule sur le côté, créant un ressac en formation. Les bouches d’égout sont saturées et l’eau s’engouffre partout où elle peut.

Le passage du pont avec l’accès au dernier kilomètre le long de la Neste d’Aure nécessite de réfléchir un peu tant le passage est inondé. Je crois qu’on est tous incrédules de ce qu’on est en train de vivre. Avec mes compagnons de route, nous décidons de rester groupés jusqu’à l’arrivée.

Le sentier final, habituellement charmant et bucolique, n’est qu’une infinie flaque d’eau. La pluie a rabattu les branches des arbres sur nous, obscurcissant notre  horizon.  Avec la lumière blafarde des quelques éclairages disséminés le long du chemin, l’ambiance est lugubre. Pas d’autre choix que de courir au milieu avec parfois de l’eau jusqu’aux chevilles.

Sur l’un des quelques embranchements qui dessert les résidences, un de mes deux acolytes part à droite. On hésite, on n’y voit rien. On se regarde avec le 2e.

Hé ! C’est par là.

Le type se retourne et comprend sa méprise. Vigilance !

GRP : L’arrivée

On double des gens. Peut-être des coureurs, peut-être pas. L’un d’eux crie à notre encontre :

Profitez les gars !

Mais profiter de quoi ?  J’en ai marre. Je suis fatigué. Plus nerveusement que physiquement d’ailleurs. Et je n’ai qu’une seule envie : en finir pour me mettre au chaud et au sec.

On passe le pont sous le déluge, foule le tapis rouge souillé et franchit la ligne de chronométrage. On se regarde un peu hagard, puis on se tombe dans les bras, conscients d’avoir vécu une expérience hors du commun.

Arrivée au GRP Tour des Lacs 2023
Credit photossports.net

J’aperçois Véro à la remise des dotations finishers. Elle m’accueille à bras ouverts, me fait la bise et me passe la médaille autour du coup. Je l’ai fait ! Encore sonné, j’attrape quelques morceaux de pastèque au ravitaillement couvert et commence à grelotter de la tête aux pieds.

Ne pas trainer là.

Médaillé au GRP Tour des Lacs 2023
Crédit Véronique Saunier

Retour d’expérience à l’équipe du GRP

Je ressors de la zone coureur aussi vite que j’y suis rentré. A droite, ma voiture est garée à 400 mètres. Je décide sur un coup de tête de partir à gauche, direction le PC course. Je pousse la porte et tombe sur une demi-douzaine de paires d’yeux cernés qui se décollent de leur écran et se tournent vers moi.

Silence.

Le seules paroles viendront de Michel Fropier, le directeur de course :

C’est comment là-haut ?

Je brise la glace en expliquant la situation. Je me permets de conclure en disant qu’il serait préférable d’éviter d’envoyer les derniers au casse-pipe. C’est déjà très difficile quand on dispose de tous ses moyens alors qu’est-ce que ce sera pour ceux qui ne tiennent plus debout ?

Je repars comme je suis rentré après un « échange » qui n’a pas dépassé 2 minutes.

Je traverse la place de l’arrivée trempée par la pluie pour me diriger dans le noir vers ma voiture.

Pas au bout de mes peines

Une dernière épreuve m’attend : sortir ma voiture du parking.

Le champ est dans le même état que les chemins du col de Portet. Pour sortir, il faut grimper un terre-plain qui ne doit pas dépasser 50 centimètres de haut. Quand je m’engage à pied dans le passage, une voiture tente de sortir, se met en travers et creuse une ornière, une de plus. Je n’ai pas prévu les chaines pour circuler en vallée en plein mois d’août !!!

Quand je me présente à mon tour, la solution de prise d’élan que j’avais imaginée est moins évidente. L’espace pour tourner après le passage est étroit et les piétons affluent sans se soucier de ma présence (normal, chacun s’est replié sur soi avec ce temps). Il va falloir jouer serré. Je vise une fenêtre d’une dizaine de seconde, pars en 2e avec un angle d’attaque de 45 degrés. L’une des roues avant passe mais pas l’autre qui se met à patiner à une encablure de l’asphalte. J’insiste, la voiture se met en travers mais finit par s’extraire de ce guêpier.

Ouf ! Cette fois, c’est fini. Je vais pouvoir profiter d’une bonne nuit au chaud dans mon chalet d’Aragnouet. Je vise l’horloge sur le tableau de bord. 22 heures.

Mais quelle journée de dingue !!

Voiture embourbée
Illustration

Aparté sur ce GRP

Toute la suite est une réflexion personnelle sur les événements hors du commun de ce « jour le plus long ». Elle n’engage que moi. L’objet de ces paragraphes est d’alimenter le débat de manière constructive pour prendre un peu de recul sur mon vécu.

Merlans aller

Tous les bénévoles présents sur place ont été pris d’assaut par les nombreux abandons et les hypothermies à gérer. Récupérer leurs puces, les répertorier, prévenir le PC course. Les Charbonnel en serre-files n’ont pas échappé à la règle. Ils ont été ralenti par tous ceux qui rendaient les armes et ils étaient nombreux. Seule une demi-douzaine de coureurs sont arrivés hors-délais. Tous les autres ont été mis hors course sur abandon (un tiers de ceux qui ont arrêté l’ont fait là). Eux-mêmes ont eu à subir les mêmes conditions météo dantesques. Oslo, leur chien, s’était plaqué au sol dans la furie des éléments et avait refusé de faire un mètre de plus au col. Parvenu à Merlans, il a dû être emmitouflé dans une couverture de survie pour préserver sa santé. Nadège a bien cru le perdre.

J’ai conscience d’avoir été privilégié lors de ce ravitaillement grâce au traitement de faveur dont j’ai pu bénéficier. D’autres n’ont pas eu cette chance-là. Ça pose la question de l’équité. Les premiers ont pu bénéficier de l’aide des bénévoles aux petits soins, notamment pour se changer lorsqu’ils étaient frigorifiés. Je pense notamment à Sylvaine Cussot comme elle le rapporte sur son compte Instagram.  C’était devenu impossible pour la 2e partie de peloton au vu du ras-de-marée subi.

Sylvaine Cussot
Crédit Sylvaine Cussot

Le Serpolet

Qui dit vrai ?

La confusion dans la communication en a perturbé plus d’un. Je ne doute pas de la bonne foi des bénévoles qui ont fait ces annonces. Peut-être que les décisions ont évolué au fil des heures. Positionnés assez loin de leur camp de base dans un endroit où le réseau est de faible qualité, ils n’étaient certainement plus à jour des dernières informations. Ça pose la question du côté « officiel » de l’info reçue.

Je retiens une leçon de cet épisode : seuls les responsables de poste sur les ravitaillement disposent  de la « vraie » information. En tant que coureur, on ne devrait faire confiance qu’à ces personnes. Le problème : comment les distinguer de tous les autres ?

Quelles étaient les vraies barrières au final ?

L’association Majuschule en charge de l’organisation de la course a publié un communiqué sur son site pour proposer des réductions aux coureurs qui ont subi la situation sur les 2 ravitaillements et ont été contraints d’arrêter leur course.

Au final on y apprend que :

  • la BH à la Mongie était à 12h40 (on nous avait annoncé 12h30 au sommet du Serpolet)
  • la BH à Sencours était à 15h10 (on nous avait annoncé 15h à la Mongie)
Communiqué de l'association Majuschule sur les barrières horaire du GRP Tour des Lacs 2023
Le communiqué publié sur le site du GRP

Notre responsabilité en tant que coureur

Et côté coureur, une fois de plus, nous devons pratiquer le doute critique plutôt que d’absorber toutes les rumeurs véhiculées. Ça passe aussi par une préparation minutieuse en amont (parcours, distance, biais de son propre GPS, spécificité du règlement…). Par exemple, ne pas croire un bénévole ou un suiveur qui nous dit que le prochain ravitaillement est dans 10 minutes ou dans 2 kilomètres. Il ne sait pas à quelle allure on progresse et on ne sait pas avec quelle source il a obtenu ces informations (sa montre ? à vue de nez ?). Et quand les informations reçues sont contradictoires, il vaut mieux ne rien changer dans son attitude tant que la situation n’est pas claire.

Les serre-files de l’arrivée

Chaque année, Nicole et son groupe de serre-files couvrent les deux derniers tronçons de Tournaboup à l’arrivée pour un périple d’une douzaine d’heures et une magnifique nuit blanche. Cette édition a été toute autre.

Avec les barrières avancées à La Mongie et Sencours, les derniers ne sont pas arrivés à 3h du matin à Merlans mais avant minuit. Trop tard, pour se lancer dans la descente finale. Nicole & co ont été arrêtés au dernier ravitaillement pour raisons de sécurité. Seul Hervé (ramassé avec Marie au passage de la cabane de Port Bielh) a eu l’autorisation de descendre avec un des coureurs  qu’il a dû gérer à part. Il était autour de 23h30. Il avait pris de l’avance sur le groupe serre-file pour accompagner ce coureur. Ils furent les derniers autorisés à se lancer dans la descente finale qui a été épique.

Fallait-il donner le départ ?

Sur le coup de la colère, à Merlans, j’avais dit que non. Avec le recul, je pense que les organisateurs n’imaginaient pas à quel point la météo allait être instable et que les prévisions allaient devenir obsolètes dès leur émission.

Difficile de croire que Simon Accarier, le patron du GRP, nous ait caché la vérité de la situation lors du briefing du matin. Pour illustrer cette intuition, je vous propose ce petit montage vidéo réalisé à partir de la webcam de Merlans. On a bel aperçu de l’évolution de la météo toutes les demi-heures. Les premiers sont passés avec des conditions proches de ce qu’on a eu au départ :  un rideau de pluie. Les derniers ont pris la tempête en pleine face.

YouTube player

Ça n’engage que moi mais je suis convaincu qu’il est plus difficile de rapatrier 1600 personnes en danger dans la montagne que d’annuler une course. D’un côté, l’organisation met sa responsabilité en jeu pour sauver des vies humaines. De l’autre, elle n’a qu’un problème administratif à régler (le remboursement en tout ou partie des frais d’inscription).

Au final, avec les données connues au départ, je pense que oui, il fallait lancer la course. On est en montagne et on sait que les conditions peuvent être difficiles. Quand on a un peu d’expérience de ce que peut devenir la montagne quand les éléments se déchaînent, on sait qu’on peut prendre une belle claque.

La question est : où est la limite ? Cette réponse appartient à chaque organisation. Il est certain que les heures qui ont suivi le départ et le reste de la journée ont transformé l’épreuve en une gestion de crise généralisée.

Epilogue

Je croise Michel Fropier le lendemain à l’entrée de la salle des fêtes de Saint-Lary juste avant de laisser entrer coureurs et bénévoles pour le buffet de clôture. Il a le visage fermé et les traits tirés. Je parviens à capter son regard.

Je comprends ton besoin d’écrire. Faudra mettre ça sur papier un jour. Cette journée…

La voix étranglée, il ne parvient pas à finir sa phrase.

Avatar Séb

2 réflexions sur « GRP Tour des Lacs 2023 – l’apocalypse »

  1. Merci du Partage, c’est « rigolo » on as vecu la même chose que toi sur le GRP ULTRA 160… Au moment ou on arrivent a Tourmaboup on nous éliminent parce que on as 10 min de retard sur l’heure de barrières qui elle même a était racourcis de une heure .. communiquer sur les réseaux 30 min avant, perso quand je cours je regarde pas INSTAGRAM !!!! Ils auraient pu nous le dire a LUZ Saint Sauveur… mais non !!! Tout ça sous le couvert de proteger les coureurs, c’est Démago !!! Car si tu as un avis de de mauvais temps qui compremets la secu des coureurs, tu doit a mon sens neutraliser la course, nuance !!! et pas me mettre des bâtons dans les roues pour me viré sans que la course soit arrêter… J’ai trouver ça inadmissible, de nous faire porter le châpeau… On as râler est on est passer … A Merlans, le clou du spectacle… J’arrives avec un Serre file qui c’était avancer pour se mettre a l’abris, en rentrant au ravito il fait signe aux Pompiers pour leur dire qu’il fallait pas me laisser sortir… il est 11h45, barrière horaires 2 du mat. Ils étaient entrain de tout plier pour partir… les pompiers viennent me voir pour me dire que j’avais une sale gueule !!! j’ai répliquer par  » Après 150K quelle gueule je devrais avoir ? » Puis que j’avais que 15 min pour sortir ou bien descendre avec eux mais discalifier…. Je me suis fabriquer un poncho avec un sac Poubelle et je suis sortis sous le déluge et je l’ai finis !!!! 47 heures sans dormir !!! Je te passes les détails mais je ne reviendrais pas au GRP c’est inadmissible ce genre de comportement, c’est pas l’esprit TRAIL et de plus si ils veulent faire du Coletti « UTMB » ils encore beaucoup de choses a améliorer et pas des moindres, la course est magnifique mais l’équipe décevente. Voila !!! je t’ais épargner les détails mais sache que pour ma première 165Kilos waaooo j’ai pris beaucoup d’experience et je suis aller chercher au fond moi même pour la finir.

    1. Bonjour Javier ! Je comprends ta colère, surtout quand on a investi autant de temps dans la prépa d’une telle épreuve, qu’on la fantasme pendant les mois et que ça ne se passe pas vraiment comme on la prévu le jour J. Je crois qu’on tous dû faire preuve d’adaptabilité face à la violence des éléments, l’organisation y compris. Il faut bien voir la gestion des bénévoles comme une gestion décentralisées avec des chefs de poste qui ont le pouvoir sur leur zone. C’est très efficace quand tout marche bien. Ça a montré ses limites, notamment dans la communication en cas de crise. Je ne doute pas que chacun a fait de son mieux à son échelle, sauf que certains ont été contreproductifs voire ont plombé la course de certains. Je pense au type qui a annoncé que la course était neutralisée à La Mongie et qui a découragé tout ceux qui recevaient le message. S’il s’était abstenu, il y aurait eu moins de dégât sur le 80. Après, encore une fois, je suis sûr qu’il cherchait à bien faire. En tout cas bravo pour avoir trouvé les ressources pour aller au bout dans ces conditions. Je suis sûr que ça te sera très utile pour tes prochains ultras.

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