La Diag de Marie – 1/3

Dans ma courte vie de trail runner, deux personnes ont compté plus que les autres pour façonner ce que je suis aujourd’hui sportivement. Vous savez, ces personnes qui vous inspirent par ce qu’elles sont, les valeurs qu’elles incarnent et ce qu’elles ont réussi à accomplir. Ces personnes qui vous montrent le chemin que vous rêvez secrètement d’emprunter sans oser le dire à voix haute de peur de provoquer des moqueries.

Marie est l’une d’elle et, avec son autorisation, je voudrais partager avec vous son récit de la course qui a le plus compté à ses yeux … peut-être même le défi d’une vie : la Diagonale des Fous !!!

Rencontre avec Marie

Une après-midi d’août 2016 en Bretagne, les championnats de France de course d’orientation battent leur plein. Je ronge mon frein avec cette cheville droite qui a doublé de volume suite à un mauvais appui dans un trou deux semaines auparavant. Me voilà contraint et forcé de me ranger du côté des spectateurs alors que j’aurais tant voulu être de la partie. Je suis affalé dans l’herbe, écoutant distraitement les orienteurs de mon club débattant du meilleur itinéraire du jour, quand débarque une jeune femme brune, discrète voire un brin effacée, habillée aux couleurs du club de Douai :

Elle : Je cherche quelqu’un qui rentrerait directement sur Toulouse après la course. Est-ce que vous auriez une place disponible s’il vous plait ?

Un toulousain : Vois avec Séb – me désignant du doigt – Lui, c’est sûr, il y rentre directement.

Et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Marie grâce un long covoiturage de quasi vingt-quatre heures – on s’est arrêté en route pour dormir Entre les discussions existentielles et notre passion commune pour l’orientation est venu se greffer le trail. Je sortais d’un stage à Saint-Lary durant lequel l’animateur m’avait fait rêver en me parlant de sa prochaine participation au Grand Raid des Pyrénées sur le 120 kilomètres. Moi qui n’avais jamais dépassé le marathon, j’avais des étoiles dans les yeux en l’écoutant. Ce genre de défi me paraissait inaccessible, juste réservé pour des fous, des illuminés ou des habitués de la montagne à la peau tannée par les heures passées en haute altitude dans des conditions météo inimaginables.

Et Marie a fini par m’avouer timidement qu’elle aussi allait prendre le départ du Tour des Cirques. C’est son premier ultra et elle a un peu le trac, même si elle affiche une belle confiance à trois semaines de l’échéance.

Crédit photo « photo.polo »

Marie n’était pas le prototype des warriors que je fantasmais sur ce genre d’épreuve et j’ai suivi son exploit de très près, intrigué, passionné … D’abord en live sur le site internet où j’ai pu constater sa résistance et sa régularité. Puis quelques jours plus tard lors de son retour sur Toulouse où j’en ai profité pour recueillir ses impressions à froid. Elle était impressionnante de fraicheur, à peine marquée, et avait déjà géré ses problèmes d’ampoules qui avaient transformé sa dernière descente vers Vielle-Aure en chemin de croix.

Depuis, Marie a fait du chemin : la Maxi Race à Annecy et la CCC à Chamonix en 2017 en préparation de  … la Diagonale des Fous à La Réunion, rien que ça La Diagonale, Marie c’est son rêve !! Elle en parle avec une telle passion qu’elle embarque une partie de son club d’athlétisme de région parisienne pour la soutenir et l’assister. Malheureusement, elle doit renoncer à prendre le départ pour raisons personnelles et doit mettre prématurément fin à sa saison. Mais elle ne renonce pas à son rêve et s’inscrit à nouveau en 2018 avec une envie encore plus grande !!! Et cette fois, en guise de préparation, elle choisit de s’aligner sur le 75 kilomètres du trail de Gavarnie et sur … le 120km des Grand Raid des Pyrénées. C’est une grande émotion pour moi de prendre le départ de mon premier grand ultra à ses côtés.

Mais, mais … Marie !! C’est à sept semaines de la Diagonale !! C’est suicidaire, tu n’auras jamais récupéré !!!

Marie fait fi des avis des uns et des autres et croit en ses capacités impressionnantes de récupération. Et c’est ainsi que le 18 octobre 2018 elle prend le départ de la course de ses rêves, portée par une communauté toujours plus nombreuse de trailers tous plus admiratifs les uns que les autres.

La suite … je lui laisse vous la raconter … (merci à Mathilde pour les photos )

Sa Diagonale des Fous 2018

Allez, je me lance plus d’un mois après l’arrivée de la diagonale… Quelle aventure !!! Si je me remémore la course, bien sûr il y a eu des moments difficiles, des moments de doute pendant ces 54 heures mais si je dois garder des souvenirs, ce sont bien tous les instants de bonheur, de partage avec vous tous que ce soit lors de la préparation ou pendant l’épreuve.

Annabelle, Sébastien, Mathilde, Sophie, Jo et Benoît, ils sont là pour m’accompagner au départ à Saint-Pierre. Voilà maintenant une semaine que nous vivons tous ensemble dans cette belle villa de La Rivière Saint Louis. Ils sont venus pour moi, pour m’aider à réaliser ce rêve de longue date.

Il manque juste Delphine et Stéphane qui prennent le bus pour se rendre au départ de la Mascareignes et Rémi qui dépose Chris à l’aéroport.
Je les prends dans mes bras, je les embrasse, je sens bien qu’ils sont aussi émus que moi. Ils seront avec moi pendant ces 54h de course, à me soutenir et à vivre cette expérience.

Je rentre dans la zone de départ vers 20h, je pose d’abord mes sacs pour les bases de vie, puis ensuite vient le contrôle du matériel obligatoire. Tout est en règle, je peux entrer après une petite interview par Réunion 1ère, la chaîne locale.
Je regarde une dernière fois mon téléphone avant le départ. Je lis les messages du groupe WhatsApp créé pour l’occasion. Vous êtes de sacrés furieux… Ma famille, mes amis d’enfance, d’école, de CO, de la SAM (NDLR : le club d’athlétisme de Marie), vous êtes tous à fond pour me pousser vers cette ligne d’arrivée. Je range le téléphone dans le sac, je le regarderai aux bases de vie et dans les gros coups durs pour me ressourcer de votre énergie communicative !

Je retrouve alors Pierre et Bourgui, les copains de la Course d’Orientation, qui participent également à la course. J’ai la gorge nouée, je n’ai pas trop envie de parler. Je me pose à coté d’eux et je pense à la course, à ces 165 km que je vais parcourir. J’ai l’impression de les connaître. Benoît et moi avons passé des soirées entières à regarder des reportages, des vidéos Youtube de coureurs sur les éditions précédentes, j’ai lu des dizaines de compte-rendus… Enfin j’ai pu faire la reconnaissance d’une partie du parcours. D’abord, l’an dernier avec Mathilde et Sébastien puis cette année avec Ihab, Sophie et Benoît. Je regarde le profil affiché sur mon dossard, je le connais par cœur, ça fait près de deux ans qu’il est en écran d’accueil sur mon téléphone portable ! Je me sens prête, cette course je l’attends de pied ferme.

Je repense à cette année, à toutes les épreuves que j’ai traversées. J’ai fait le choix l’année dernière de déclarer forfait quelques jours avant le départ pour rentrer accompagner ma mère dans ses derniers jours. Je ne faisais que repousser ma participation d’un an. Dès que je vous faisais part de ma décision, vous m’avez soutenue. Chris, Stéph, Jo, Mathilde, Sophie, vous vous êtes lancés dans le projet dès le début! C’était décidé, on partait à la Réunion tous ensemble l’année prochaine !

Il fallait alors sortir la tête de l’eau, se remotiver, refaire un plan pour l’année de préparation à venir. Encore une fois, vous étiez là, vous m’avez cajolé, choyé pour me remettre d’aplomb. Marathon de Paris, Trail de Gavarnie, GRP, week-ends chocs dans les Pyrénées et dans les Vosges, Tour du Mont-Blanc, Paris-Limoges à vélo…

Sans parler des dizaines de séances d’entrainements ! Ces moments étaient mon oasis dans une situation familiale difficile: d’abord le deuil de ma mère, le cancer de mon père puis à nouveau le deuil… Je crois avoir traversé l’année la plus tragique de ma vie néanmoins toutes ces épreuves m’ont permis de créer des liens plus forts avec vous tous. Vous m’avez aidé à remonter la pente et à me redonner l’envie pour préparer cette belle échéance !

Alors me voici, sur la ligne de départ, ça joue des coudes. Tous les coureurs piaffent d’impatience. Je reste concentrée, je m’accroche au sac de Bourgui pour ne pas le quitter. Avoir une personne connue à mes cotés me rassure.

22h ! C’est le départ. Je la connais cette ambiance, je l’ai vu sur les vidéos, mais là ça dépasse l’entendement! Le public est en feu. Nous partons sous les applaudissements et les rugissements de la foule. Je ne sais pas où donner de la tête. Tous ces gens sont là pour nous acclamer, ça me fait tellement chaud au cœur. Je reste attentive, je sais que mes amis sont là quelque part à environ un kilomètre du départ, je ne veux pas les manquer. Ça y est, je les vois, ils sont déchainés. Le visage de Benoît se détache, je l’embrasse une dernière fois avant de partir pour cette folle aventure. Je fais un signe de main à mes autres amis et je repars. Un peu plus loin, j’entends qu’on m’appelle, enfin qu’on appelle Marie. Il faut dire qu’à la Réunion, c’est un prénom très courant. Je ne vois pas de tête connue, ça doit être pour quelqu’un d’autre. Pourtant la voix insiste, je cherche dans la foule et je vois Juju qui court derrière les gens amassés pour m’accompagner sur une centaine de mètres. Lui aussi, il est euphorique. Juju, il n’a jamais douté de moi, pour lui c’était une certitude que j’allais terminer cette course! Il m’adresse ses derniers encouragements puis me laisse repartir dans ma course. Je me reconcentre, je ne veux pas me laisser entrainer par l’euphorie des autres coureurs. Ma stratégie consiste à prendre un départ lent dans le but de me préserver. Cette course, je l’attends depuis trop longtemps, je veux profiter du moindre instant. Je sais qu’il y aura des moments difficiles mais je veux faire en sorte qu’ils soient le moins nombreux possible.

Je continue donc sur les routes de Saint Pierre, la foule est toujours aussi compacte, les encouragements toujours aussi enthousiastes. Tant de personnes ont fait le déplacement pour partager ce moment de liesse ! C’est incroyable !
Il est temps de se reconcentrer, 40 km de montée douce et régulière m’attendent pour cette première nuit. Nous quittons la route au bout du 5ème kilomètre, et nous nous engouffrons dans un chemin entouré de cannes à sucre. Les bruits de la foule s’estompent, peu de coureurs parlent, tout le monde me paraît très concentré.

Dès que le terrain commence à monter, je marche. Je me fais beaucoup doubler, ce n’est pas grave, j’avance à mon rythme. J’arrive sans même m’en rendre compte au premier point de passage « Domaine Vidot, km 15 ». Les tables de ravitaillement sont à peine accessibles tellement le nombre de coureurs est important. Je remplis mes gourdes et ne m’attarde pas plus.

Rapidement, je me retrouve stoppée dans ma course au milieu d’une masse compacte de coureurs piétinant dans le but de s’engouffrer dans la forêt devant nous. C’est donc ça, les fameux bouchons du domaine Vidot. J’avais connaissance de ce passage, de nombreuses personnes m’avaient conseillées de me dépêcher en début de course pour éviter cet engorgement. J’ai préféré jouer la prudence. Je prends donc mon mal en patience, environ 10 minutes avant de rejoindre le chemin. Une fois ce dernier atteint, la vitesse de course n’est guère augmentée, nous marchons à la queuleuleu au ralenti. Ça râle autour de moi, je ne m’agace pas, je reste concentrée, je suis heureuse d’être là. Nous gardons ce rythme pendant près d’heure, puis nous sortons de la forêt. Nous continuons à monter tranquillement en longeant des prairies. Des coureurs commencent déjà à montrer les premiers signes de fatigues, certains s’arrêtent au bord du chemin, d’autres s’allongent carrément pour piquer un somme. Je n’ai pas sommeil, il faut dire que je n’ai jamais autant dormi que cette dernière semaine, j’ai fait le stock ! Nuit de 8 heures, sieste tous les jours, mes batteries sont à bloc !

Je pointe alors à « Notre Dame de la Paix, km 25 », là encore de nombreux coureurs s’amassent autour des tables. L’infirmerie commence déjà à se remplir, pour ma part je suis en pleine forme. Je remplis mes flasques et repars aussitôt.

Je me cale alors sur le rythme de deux Réunionnais pour terminer cette grande ascension. Ils échangent en créole, je m’amuse à les écouter, ne comprenant que des bribes de phrases. J’aime cette langue, je la trouve pétillante, pleine d’entrain et de joie de vivre! Ils m’intègrent à leur conversation, nous discutons tout en continuant d’avancer sur cette partie plutôt technique, je ne vois pas le temps passer. Le jour se lève, peu de temps avant que nous rejoignions le point « Belvédère Nez de bœuf, km 38 ». C’est quasiment le point culminant des 40 km d’ascension. Je suis soulagée que cette montée se termine, j’ai principalement marché sur cette portion et une certaine lassitude commençait à s’installer !

Je décide de ne pas m’attarder. D’une part, je sais que la descente est proche, je vais pouvoir enfin me dégourdir les jambes et dérouler un peu. D’autre part, Mathilde, Sophie et Benoît m’attendent à Mare à Boue dans 10 km. Il me tarde de les voir. Cette portion passe comme une lettre à la poste, je double beaucoup de personnes et je me fais plaisir dans cette descente un peu technique où les autres coureurs ont le pas hésitant. Je m’arrête seulement pour enfiler ma GoreTex en raison d’une fine pluie qui commence à pointer le bout de son nez. Je continue à courir jusqu’à atteindre une longue route droite et plate qui mène jusqu’au ravitaillement. J’alterne entre marche et course le temps de retrouver mes trois assistants trempés par la pluie. Voilà déjà dix heures que je suis partie et les voir me fait chaud au cœur. Nous marchons ensemble jusqu’au ravitaillement où ils ne peuvent pas venir. Je pointe, passe devant la table de ravitaillement où je remarque qu’un repas chaud est servi. Je n’y goûte pas me disant que la base de vie où je pourrai prendre un repas chaud est à « seulement » 15 kilomètres. Je quitte donc aussitôt les tentes pour retrouver mes amis qui m’attendent à la sortie. Nous échangeons un peu sur mes impressions de début de course. Je remplis mon sac de vivres (bonbons Haribo, PomPotes, pâte d’amande et fruits secs) et je pars me disant que j’allais les retrouver à Cilaos dans peu de temps.

Je pense avoir fait une erreur à Mare à Boue. J’ai nettement sous-estimé la portion entre Mare à Boue et Cilaos (15km, 800 D+), pensant qu’il s’agirait d’une simple formalité pour rejoindre la première base de vie. Or, cette portion s’est avérée particulièrement difficile. J’aurais dû prendre plus de temps, notamment pour manger et reprendre des forces.

A suivre.

2 réflexions sur « La Diag de Marie – 1/3 »

  1. J’attends la suite avec impatience ! C’est mon prochain objectif si le Tour des Cirques se passe bien cet été… autant dire que ce récit me passionne. Merci pour le partage.

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