Cet article est la suite de « La Diag de Marie – 1 » … et nous reprenons la suite du récit de Marie à cet endroit-ci de sa course :
Me voilà donc dans la montée vers le plateau Kerveguen
Rapidement la pluie s’arrête laissant sa place au soleil et la chaleur qui va avec. De nouveau, je suis ralentie dans des embouteillages, nous montons sur une monotrace très technique où l’étroitesse du chemin nous oblige à se suivre. Je commence à être fatiguée mais je ne suis pas la pire. Un coureur est assis au bord du chemin, enroulé dans sa couverture de survie, tremblotant malgré la chaleur ambiante. Je m’inquiète pour lui mais il me rassure et me fait signe de continuer. Cette montée me paraît sans fin, je commence à discuter avec le coureur devant moi. Il est Breton et habite à la Réunion depuis deux ans. Il a déjà participé à la Mascareignes et au trail des Bourbons. Je me concentre sur ses paroles essayant d’ignorer mon corps qui fatigue.
Nous avançons donc doucement vers le plateau Kerveguen. Une fois arrivée, je décide de me poser un peu pour me ravitailler. Je sens bien que le moral n’est plus au beau fixe …
Des idées noires commencent à arriver
Je me connais, ce sont souvent les prémices d’une hypoglycémie. Je sors donc un paquet de Haribo et prend le temps de déguster chaque bonbon. J’en profite pour observer les autres participants, les visages sont marqués, les 12h d’efforts commencent à tirer les traits des coureurs.
Bon, ce n’est pas tout ça mais il faut y retourner ! Plus qu’une grande descente et j’atteindrai enfin la base de vie de Cilaos où je pourrai reprendre des forces comme il se doit. D’habitude les descentes ne me font pas peur mais celle-là est particulièrement raide, technique et en monotrace. Au vu de mon état, je préfère suivre prudemment le rythme d’un groupe et arriver ainsi tranquillement en bas. Le ravitaillement de Mare à Joseph (km 61) est enfin là, synonyme de fin de cette terrible descente. Seulement 4 km de plat me sépare alors de Cilaos, je repars alors en trottinant.
J’arrive plutôt rapidement à Cilaos, les supporters sont de plus en plus nombreux, je tourne à gauche pour rejoindre la rue du Stade qui fait office de base de vie. Les gens nous encouragent, nous applaudissent et j’aperçois enfin Mathilde, Sophie et Benoît. Dès qu’ils me voient, une clameur s’élève, j’entends mon nom dans tous les sens, j’ai l’impression d’être une star ! Je remercie les gens, je les applaudis en retour. En plus d’être des assistants de choc, mes compagnons sont de très bons chauffeurs de salle ! Sophie et Mathilde ont créé un panneau en carton avec une tête de Dodo dessinée et écrit …
« MARIE LE LA ! »
Les gens adorent et mes assistants sont même photographiés pour un article de la presse locale !
Mes amis m’accompagnent jusqu’à l’entrée du stade où ils ne peuvent pas accéder. Je récupère alors mon sac déposé au départ et me dirige vers les vestiaires pour me doucher. Une dizaine de filles y sont déjà, elles ont l’air fatiguées mais toutes ont l’envie d’en découdre ! On se questionne les unes les autres sur nos impressions, nos blessures…
C’est une ambiance d’entraide qui règne ici
On est toutes dans le même bateau. Je file donc sous la douche, l’eau est gelée !! Je déteste ça mais je me glisse sous le jet glacial. J’ai déjà parcouru 66 km dont une bonne partie de nuit, ce n’est pas une douche froide qui va me faire flancher ! Le premier choc passé, le contact de l’eau sur ma peau me fait un bien fou, je sens mes muscles se détendre lorsque que j’applique le gel douche. Je pourrais rester là un bon moment finalement…
Je me force à libérer la place pour une autre coureuse puis j’enfile une tenue propre. C’est le maillot de la SAM (NDLR : le club d’athlé de Marie), avec ses rayures blanches et rouges, que j’aurai sur le dos pour les 60 prochains kilomètres. Je me brosse les dents et je quitte le vestiaire. Je me sens comme neuve, avec quelques courbatures quand même !
Allez maintenant il faut remplir la machine de carburant, je rejoins la tente des ravitaillements dans l’intention de me prendre un bon repas chaud. Au menu, du riz avec du poulet, je me fais servir une grande assiette et me dirige vers la sortie pour retrouver ma team assistance qui m’attend dans les gradins du stade.
Un bénévole m’informe alors qu’il est impossible de sortir avec de la nourriture
Mince! J’engloutis alors mon assiette en trois bouchées pour rejoindre mes amis au plus vite. Je leur fais part des difficultés que j’ai eu sur cette dernière portion. Ils sont à l’écoute de mes moindres requêtes. Benoît me masse les jambes pendant que Mathilde et Sophie vérifient avec moi que j’ai tout ce qu’il me faut au niveau ravitaillement et matériel. Ce temps passé avec eux me fait un bien fou, je suis heureuse qu’ils soient avec moi dans cette aventure. Nous quittons tous les quatre les gradins et nous marchons quelques centaines de mètre jusqu’à ce que le tracé du parcours quitte la route pour un sentier. Je les prends dans mes bras tous les trois.
Je ne les verrai plus pendant plus de 24 heures maintenant
Le cirque de Mafate m’attend et l’assistance personnelle y est très difficile. On se donne rendez- vous à la prochaine base de vie à « Sans-soucis, km 126 ».
Le cirque de Mafate est le juge de paix de cette course si j’en crois tous les récits que j’ai lus. Ici, l’abandon n’est pas une option puisqu’une bonne partie du cirque n’est accessible qu’en hélicoptère. De toute façon, loin de moi l’idée de mettre le clignotant !
Ce cirque, je l’ai découvert lors de notre trek avec Ihab, Sophie et Benoît. C’est un des plus bels endroits que j’ai pu voir sur Terre. J’y ai ressenti un état de plénitude incroyable.
Pour accéder au cirque, il faut franchir la 1ère grosse difficulté: le col du Taïbit (oui, oui, jusque là c’était une partie de plaisir !). Pour se faire, il faut d’abord descendre à la Cascade Bras Rouge puis monter 1200 mètre de D+. Le Taïbit, je le connais, je l’ai reconnu avec Benoît deux semaines auparavant. Tout s’était très bien passé !
Je cours dans la descente jusqu’à la cascade bras rouge, je sens que mon attention diminue.
Il est vrai que ça fait 24 heures que je n’ai pas dormi
Arrivée en bas, je décide de m’allonger sur un rocher au bord de la rivière pour dormir quelques minutes. Je ferme les yeux lorsque je sens des gouttes me mouiller le visage. Une fine pluie commence à tomber, puis de plus en plus forte. Impossible de se reposer dans ces conditions. Tant pis, je mets ma GoreTex et je repars. Je verrai dès que l’occasion se présente pour dormir un peu.
Je commence alors l’ascension du Taïbit. Que c’est difficile, ça monte raide avec des marches plus hautes les unes que les autres. J’évolue lentement, « Ti pa, Ti pa » comme disent les Créoles. Beaucoup de monde me double, j’ai l’impression d’avancer au ralenti. Le temps s’écoule, cette portion me semble interminable. Je rattrape une féminine, elle est aussi exténuée que moi. Elle me demande si je pense qu’on est bientôt arrivées au sommet. Je n’ose pas lui répondre que nous ne sommes même pas au ravitaillement qui s’appelle « Pied du Taïbit ». Après quelques dizaines de minutes d’ascension, nous atteignons le ravitaillement situé sur une route. Je m’assois pour essayer de reprendre des forces, je jette un œil sur les autres coureurs pour me rassurer. La fatigue marque leur visage, on est tous dans la même galère. Il me reste 800 mètres d’ascension pour atteindre le col du Taïbit.
800 mètres… Ça me paraît tellement insurmontable !
Je me fais violence pour repartir, il n’est d’aucune aide de ressasser des idées noires, autant le faire en avançant. Je réfléchis à ce qui m’attend. Je la connais cette portion. Un peu avant la moitié de l’ascension se situe « l’îlet des Salazes », un ravitaillement pirate, je me fixe ça comme objectif intermédiaire.
L’îlet des Salazes, nous y avons fait une halte avec Benoît deux semaines plus tôt. Il s’agit d’une cabane au milieu de la forêt avec un bar et dessus deux thermos, le premier avec une étiquette « tisane ascenseur » et le deuxième avec une étiquette « descendante ». Juste à coté est déposée une boîte pour les donations. J’étais séduite par le mysticisme de ce lieu, il aurait pu parfaitement appartenir à des créatures féériques… Des petites fées qui se chargent de remplir les thermos de tisane pour les randonneurs en difficulté !
Aujourd’hui, pas de petites fées, c’est le père Noël avec une couronne qui m’accueille ! Il me propose sa tisane pour me permettre de monter plus rapidement. Je l’accepte avec plaisir, elle m’avait porté chance lors de ma dernière ascension du Taïbit. L’ambiance de l’îlet est tellement différente cette fois-ci, nous sommes de nombreux coureurs à avoir fait une halte et à espérer que la magie du breuvage opère pour nous transporter au sommet !
Je reprends donc mon ascension. J’ai la sensation que chaque pas me coûte une énergie folle. Je m’oblige à garder un rythme régulier jusqu’au sommet.
Le col arrive enfin
Le brouillard devant moi est dense, je ne peux même pas profiter d’une vue sur Mafate pour me donner un peu de courage. Je reprends ma course, maintenant c’est de la descente roulante jusqu’à Marla. Je me fixe comme challenge d’y arriver avant la tombée de la nuit pour ne pas avoir à sortir ma frontale. Objectif rempli de justesse ! Il a bien fallu que je suive de près des coureurs plus raisonnables pour m’éclairer de leur faisceau sur le dernier kilomètre.
Au checkpoint de Marla, je fais un bilan. Je suis épuisée et mon moral est au plus bas. La pluie qui s’est mise à tomber ne me permet pas de m’allonger pour dormir. Je me fais servir une grande assiette de lentilles-saucisse et m’assois à la table avec les autres coureurs. L’enthousiasme présent sur les visages au début de la course s’est envolé, on discute de ce qui nous attend avec appréhension. Pour ma part, j’ai les idées noires, Marla est au 77ème kilomètre …
Je n’ai même pas fait la moitié du parcours et j’ai l’impression d’être à bout de forces
J’allume mon téléphone et je lis les messages du groupe qui me redonne le sourire. J’essaie de grappiller un peu de toute cette énergie. Je fais part de mes difficultés à Benoît et Mathilde. J’aimerais qu’ils soient avec moi pour me remonter le moral. Ils font ce qu’ils peuvent à travers leurs messages. Je réfléchis à la portion qui m’attend : l’ascension du col des Bœufs. Là encore, j’ai reconnu cette partie deux semaines auparavant avec Ihab, Sophie et Benoît. Ihab était blessé à la cheville, il souffrait le martyre dans la montée. Nous discutions, nous jouions au quart de singe pour penser à autre chose. Et sans même s’en rendre compte, nous étions déjà au col ! Aujourd’hui, je ne suis pas blessée, je suis juste fatiguée avec le moral dans les chaussettes. Si Ihab l’a fait avec sa cheville en vrac, je ne peux pas baisser les bras juste parce que j’ai un coup de moins bien !
Je m’équipe de ma frontale et quitte Marla avec deux autres coureurs, je les suis comme je peux mais je sens bien que mes paupières sont lourdes.
Je commence à m’endormir en marchant
Le rêve se mêle à la réalité. Les rochers qui m’entourent s’ornent de peintures colorées, on se croirait dans Alice au pays des merveilles !
J’ai bien conscience que je ne peux pas continuer ainsi, ce serait trop dangereux. Seulement, le chemin est entouré de rochers et d’une forêt dense, je ne vois pas d’endroits où je pourrai me reposer. Je continue donc comme je peux jusqu’à la plaine des Tamarins qui se situe à la moitié de l’ascension. Je me couvre alors de tous les habits que j’ai : Mon pantalon K-way, mon t-shirt à manches longues en plus des habits que je porte déjà sur moi. En mouvement, la température reste supportable mais une fois arrêtée le froid se fait tout de suite ressentir. Je m’allonge donc dans cette petite prairie malgré la pluie. Le sommeil m’emporte rapidement mais le froid et l’humidité ne me permettent pas de me reposer plus longtemps. Cette micro-sieste m’a déjà permis de regagner un peu d’énergie.
Je reprends donc la route et rejoins rapidement un autre coureur. Nous finissons avec grand soulagement cette ascension et trottinons dans la descente vers le ravitaillement de « Sentier Scout, km 89 ». Il décide de ne pas s’arrêter, pour ma part j’ai besoin de récupérer. Tous les lits de camp sont pris. Je m’assois sur une chaise, je suis fatiguée mais je ne ressens pas le besoin oppressant de dormir. Un bénévole vient vers moi et me demande comment je vais. Je lui réponds que c’est difficile entre le terrain, la nuit, la fatigue… Il me remonte le moral comme il peut, me dit que j’ai l’air fraîche par rapport à bien d’autres coureurs et me signale que là j’ai enfin fait plus de la moitié du parcours ! Ça me fait du bien de parler et je sais que la portion qui m’attend est principalement de la descente.
Je repars donc prudemment. Entre la nuit et la fatigue, il serait facile de se tordre une cheville. Je longe un chemin sableux et peu technique dans la forêt. Rapidement, le sommeil se fait de nouveau ressentir. Je suis à l’abri de la pluie, le sol est confortable, je décide de m’allonger. Je me couvre à nouveau de tous mes habits et m’endors. J’arrive à garder un sommeil léger, je laisse mon esprit se reposer mais je reste consciente de ce qui m’entoure. J’entends le pas des coureurs qui passent à coté. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, une dizaine de minutes peut-être plusieurs… Assez pour me sentir de nouveau apte à courir en tout cas. Je continue la descente jusqu’au ravitaillement « Ilet à Bourse, km 97 ». Je m’arrête, encore.
Il est 2h30 et la nuit me paraît interminable
J’ai besoin de me reposer, de me remonter le moral. Je subis cette 2ème nuit, mon état de fatigue permanent m’empêche de profiter comme je devrais de la course. Je m’endors à nouveau sur ce ravitaillement, en espérant que ces quelques minutes de sommeil me feront quitter cette torpeur dans laquelle je me trouve depuis le début de la nuit. Je suis réveillée par le froid, je ne me sens pas au top de ma forme mais cette petite sieste me permet quand même de reprendre des forces. Seulement trois kilomètres me séparent du ravitaillement de « Grand Place, km 100 », je referai un point là bas.
Je parcours ces trois kilomètres comme je peux, c’est dur. Il est 4h du matin quand j’arrive enfin à Grand Place. Je prends un repas chaud et réfléchis à ce qui m’attend pour les prochaines heures. Le Maïdo est la deuxième et dernière grosse difficulté du parcours. Une fois le sommet atteint, je serai sortie de Mafate et les 50 derniers kilomètres restants ne seraient qu’une partie de plaisir… Mes sentiments sont assez mitigés face à ces pensées.
J’appréhende énormément le Maïdo
Le sommet est à 15 km et je dois parcourir plus de 2000 mètres de dénivelé positif pour l’atteindre. Je me sens découragée rien que d’y penser. Mais je ne peux pas m’empêcher de visualiser l’après : une grande descente peu technique qui m’amènera à la deuxième base de vie de Sans-Souci où je retrouverai mes trois amis. Après ce sera des « petites » bosses avant de rejoindre l’arrivée. C’est à cette pensée que je choisis de m’accrocher pour repartir à l’assaut du Maïdo, elle me donne l’impression que la course est bientôt terminée! Je monte environ de 100 m après le ravitaillement, le jour est maintenant levé.
Le paysage que j’ai en face de moi est à la fois magnifique et déprimant
J’ai une vue splendide sur Mafate, le Maïdo culmine en face de moi, il me paraît si loin, si haut, si inatteignable… D’autant plus, que là je descends raide jusqu’à la Rivière des Galets histoire de commencer le plus bas possible cette terrible ascension. Je suis découragée par cette vision, je suis épuisée et je doute clairement de mes capacités physiques pour réaliser cette ascension.
Quel courage ! Bravo Marie