Respirez !

Un soir d’avril, je rentre chez moi après une trop longue journée. Vous savez, de celles qui vous ont mis à genoux par la somme des événements pénibles qu’elles vous ont fait subir. Il est tard. Pas suffisamment pour aller me coucher mais assez pour ne rien avoir envie de faire … La TV, les écrans ? pffff … non merci !! J’en ai mangé assez comme ça toute la journée pour en ajouter encore une couche. Je me sens vide, frustré et j’ai une multitude de pensées brumeuses qui se chassent les unes après les autres à la vitesse de la lumière.

Et là, inspiration Je décide de tenter une expérience : mesurer cette fameuse Variabilité de la Fréquence Cardiaque (VFC) indicatrice de ma santé nerveuse et de voir son évolution avec différents exercices respiratoires.

Le protocole

Je m’assois tranquillement sur une chaise. Je positionne ma ceinture cardiofréquencemètre. J’active l’appli EliteHRV sur mon smartphone. Je réalise alors sept mesures de cinq minutes étalées sur une heure, comme ceci :

  1. Je ne fais rien et j’attends que ça se passe – ça tombe bien, je n’avais rien envie de faire . Je ne cherche pas à contrôler ma respiration.
  2. Je réalise des respirations amples et complètes (abdominale, thoracique et claviculaire) telles qu’on les pratique en yoga pranayama. J’inspire sur cinq secondes, puis j’expire sur cinq secondes. On verra plus loin pourquoi ce choix. C’est une respiration énergisante.
  3. Idem 1
  4. Même rythme qu’en 2 sur des cycles de deux fois cinq secondes sauf que cette fois je diminue progressivement l’amplitude de la respiration tout en veillant à bien vider mes poumons (respiration minimale « à vide »), type méditation zen. C’est une respiration calmante.
  5. Idem 1
  6. Même rythme qu’en 2 avec expiration complète et inspiration réflexe : l’abdomen se gonfle automatiquement pour compenser le vide qui a été fait à l’expiration. On retrouve ce type de respiration en sophrologie ou en yoga avec kapalabhati. C’est une respiration très énergisante.
  7. Idem 1

Et alors ? Ça donne quoi après ?

Une heure après, une fois le protocole terminé, je n’ai plus du tout les mêmes sensations : je me sens calme, serein et j’ai retrouvé le sourire. Je ne n’observe plus de pensées-parasites et j’ai surtout une grosse envie d’aller dormir J’ai le souvenir avoir eu un sommeil de plomb cette nuit-là, comme j’en ai rarement eu !!!

Analysons maintenant les données  enregistrées par EliteHRV.

Les données temporelles

Dans l’image suivante, vous avez en abscisse les heures à laquelle j’ai débuté chaque test et en ordonnée la moyenne obtenue pour les trois grandeurs suivantes :

  • HR : fréquence cardiaque (en vert)
  • HRV : variabilité de la fréquence cardiaque (en bleu)
  • RMSSD : autre façon de décrire la HRV. Pour faire simple, on va l’appeler l’indice de forme (en jaune)

Pas de surprise, les courbes jaune et bleue sont corrélées. On observe des pics spectaculaires pour les tests pairs qui correspondent aux exercices respiratoires. Même la technique calmante engendre une augmentation de l’indice de forme. Et surtout, le point le plus positif, c’est l’évolution de cet indice dans les phases de repos : 22, 29, 39, 46. En une heure, il a doublé. Si je vous dis que je suis à 60 dans mes pics de forme et à 20 quand je suis au fond du trou, vous imaginez l’influence que ces exercices ont eu sur mon état physique !!!

Un coup d’œil  sur la courbe verte nous montre que les exercices énergisants font instantanément monter le rythme cardiaque là où l’exercice calmant le fait baisser et que la moyenne est passée de 68 à 60 en une heure. C’était prévisible? Peut-être …

Les données fréquentielles

Un petit rappel pour comprendre les courbes suivantes :

  • LF Power : c’est la puissance de notre système nerveux sympathique (notre « accélérateur »)
  • HF Power : c’est la puissance de notre système nerveux parasympathique (notre « frein »)
  • LF/HF ratio : le rapport entre les deux systèmes permettant de voir l’équilibre entre les deux systèmes

Premier élément frappant quand on regarde l’image suivante : on ne voit que bleu !!! Ce soir-là, mon accélérateur marchait encore un peu, même timidement, alors que mon frein était usé jusqu’à la moelle !

Comme pour les données temporelles, on voit que l’évolution de la puissance globale est spectaculaire sur les phases de repos : ça a plus que triplé en une heure ! Mon accélérateur a retrouvé des couleurs

Difficile de se faire une idée de l’évolution du frein. Allez, on enlève le bleu pour ne garder que le orange et voici ce que ça donne :

Certes, on partait de très bas mais l’évolution est époustouflante : cette fois, c’est multiplié par cinq !!! Au réveil, mon niveau moyen est autour de 500. Avec 832, ce serait l’équivalent d’une belle journée qui s’annonce

Un coup d’œil sur le rapport entre les deux systèmes :

Avec un accélérateur qui écrasait tout au début, on se retrouve à la fin avec un frein un peu plus présent. Certes le déséquilibre reste net mais dans des ordres de grandeur plus classiques.

Conclusion

Ces exercices respiratoires successifs ont agi à la fois comme un booster du système nerveux autonome et comme une balance pour rééquilibrer le fonctionnement frein /accélérateur.

Et l’influence sur le mental alors?

J’y viens Pour comprendre d’où viennent cette sérénité et ce calme ressentis après, il nous faut revenir sur cette fameuse fréquence cardiaque et la répartition en fréquence de son signal. Cette fois-ci, on ne va pas se contenter d’observer l’amplitude maximum de chacun des deux systèmes nerveux autonomes, mais bien toutes les petites variations dans les différentes fréquences.

Les images suivantes sont obtenues avec le logiciel Kubios, en téléchargement gratuit ici. Juste pour parler math, les deux diagrammes représentent la même chose : à gauche une transformée de Fourier (plus détaillée), à droite une modélisation auto-régressive (mieux pour évaluer la densité spectrale).

Les fréquences du système sympathique sont en rose (« l’accélérateur ») et celles du système parasympathique (« le frein ») en vert.

Et celles en noir ? Ces fréquences-là sont attribuées aux émotions associées à la colère (frustration, contrariété …) ou à la peur (anxiété, inquiétude …). Elles introduisent des artefacts sur le signal de la fréquence cardiaque sur les très basses fréquences.

A contrario, même si elles sont absentes ici, les fréquences au-dessus de 0,4 Hz sont associées aux émotions liées à la tristesse (dépression, angoisse, spleen …).

Première image : nous sommes avant le premier exercice respiratoire. Comme EliteHRV nous l’a dit, les fréquences du frein sont inexistantes, celles de l’accélérateur beaucoup plus présentes et assez dispersées. De plus, on voit apparaître une proportion non négligeable de très basses fréquences. Pas surprenant : journée pourrie = grosse frustration bien prégnante!

Deuxième image : nous sommes pendant le premier exercice. Observez bien le facteur d’échelle en Y: il a été multiplié par 50! Autre élément marquant, les fréquences se sont regroupées autour de 0.1 pour l’accélérateur et 0.2 pour le frein. Plus de frustration apparente ! En même temps, c’est un peu normal, j’étais concentré sur mon exercice. Pas le temps de ruminer !!

Troisième image : après l’exercice. Le facteur d’échelle est revenu dans les mêmes ordres de grandeur qu’au début. Les fréquences du frein se sont resserrées et ont doublé en amplitude. Idem pour celles de l’accélérateur. Plus de frustration !

Conclusion

Un simple exercice de respiration a suffi à recentrer l’activité de chacun des systèmes nerveux autonomes et à leur donner plus de puissance. Au final, la fréquence cardiaque a augmenté en variabilité et le cœur en dynamisme. En gagnant en cohérence, le rythme cardiaque est devenu moins sensible au spectre des émotions qui l’assaille en permanence et le mental moins excité. D’où cette sérénité ressentie.

La cohérence cardiaque

Maintenant que nous venons de voir les résultats en détail, il est temps de comprendre le pourquoi. Pourquoi cinq secondes à l’inspiration ? Pourquoi cinq secondes à l’expiration ? Pourquoi cinq minutes ?

Ce je que viens d’expérimenter s’appelle la cohérence cardiaque. C’est une technique respiratoire mise au point aux USA dans les années 1990 pour aider à la relaxation du pratiquant. Je cite Wikipédia :

Les études ont montré que l’idéal est de pratiquer une respiration régulière, avec des cycles respiratoires (inspiration lente, régulière et profonde, suivie d’une expiration également lente, régulière et profonde) d’une durée de 10 secondes. Cela amène donc à 6 cycles respiratoires par minute, pratiqués de manière calme, avec concentration, fluidité et sans à-coup.

En effet, si vous prenez votre pouls à la carotide , vous verrez que votre rythme cardiaque diminue à l’expiration, mais au-delà de cinq à six secondes, il va stagner voire réaugmenter. Même phénomène mais inversé à l’inspiration : le rythme cardiaque augmente puis plafonne voire diminue même si on maintient l’inspiration.

On parle de cohérence car la respiration, les oscillations du rythme cardiaque, les systèmes nerveux sollicités en alternance, et par là même tous les organes pilotés par ce système – dont le cerveau – vont entrer en phase. L’expression « être aligné » utilisée en yoga ou méditation trouve ici tout son sens !!!

Pourquoi 5 minutes ? Parce que cinq minutes suffisent pour réaligner tout notre système. Bien sûr, rien n’interdit d’aller au-delà pour le plaisir des ressentis que l’exercice procure. Le docteur David O’Hare précise dans son livre « Cohérence cardiaque 3.6.5 » qu’il est préférable de pratiquer trois fois par jours pendant cinq minutes, plutôt qu’une fois quinze minutes.

En France, cette technique a été popularisée par David Servan-Schreiber, psychiatre et père de la fondation « Anticancer ». Il a notamment produit une vidéo destinée à vulgariser le phénomène, courbes à l’appui exposées en direct. Je vous conseille vivement de prendre le temps de la regarder, c’est très instructif!!! Pour les plus impatients, débuter directement à 5’30 » pour passer l’introduction. Pour ceux que la qualité de la vidéo rebute, vous trouverez le même contenu découpé en quatre ici:

 

YouTube player

Cerise sur le gâteau : le biofeedback

Le principe est simple : vous êtes à la fois le maître et le cobaye. A l’aide d’un instrument de mesure type ceinture cardio, vous prélevez le signal de votre fréquence cardiaque et en même temps vous visualisez la courbe en temps réel sur un smartphone.

L’intérêt ? Ajuster votre respiration en longueur et en profondeur de manière à obtenir des belles oscillations. Vous verrez ainsi directement l’impact d’une perte de concentration en effectuant l’exercice : des artefacts viendront d’ajouter subrepticement ici et là sur votre belle sinusoïde.

Et ça tombe bien parce qu’EliteHRV – toujours lui – propose un mode « Guided breathing » (respiration guidée) basé sur ce principe : une bulle circulaire se gonfle et se dégonfle toutes les cinq secondes, vous invitant à la suivre pour entrer en cohérence cardiaque. Et de plus votre courbe de fréquence cardiaque s’affiche en-dessous. Vous n’avez plus qu’à vous laisser guider

Et on peut pratiquer en trail ?

Bien sûr Une seule restriction quand même : il faut que l’effort soit peu intense, type marche ou endurance fondamentale. A partir du moment où vous commencez à être essouflé.e, il est impossible de tenir une cadence respiratoire de deux fois cinq secondes.

Typiquement vous êtes sur un ultra-trail et ça fait des heures que vous n’avancez plus. Plus de gaz, plus d’énergie, plus l’envie, des idées noires plein la tête et l’envie impérieuse d’abandonner. Si vous avez déjà pris le temps plusieurs fois de dormir, essayez la cohérence cardiaque pendant cinq minutes. Et répétez-la aussi souvent que possible !!

Évidemment, pas possible de regarder une vidéo avec une goutte qui monte et qui descend ou une balle qui se gonfle et se dégonfle, sauf si vous êtes sur un ravito ou sur une base de vie. Mais vous pouvez vous passez dans les oreilles une bande-son type flux et reflux de la mer calés toutes les cinq secondes. Je vous déconseille la technique du comptage dans la tête car ça sollicite la partie rationnelle du cerveau – on doit compter – vous ne serez de toute façon pas régulier et ça n’aura pas l’effet escompté.

 

Voilà, je pense que c’est un de mes derniers articles fleuve. Après, je vais me calmer un peu En espérant vous avoir été utile …

Portez-vous bien et pensez à respirer !

 

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