Cet article est le 3e épisode du récit du GRP Ultra-Tour 2022 débuté ici et poursuivi là.
On en était resté à Pierrefitte, la 1ere base de vie, où je suis arrivé en forme une fois la nuit tombée, mais en plein doute avec une tendinite du releveur à gérer.
L’épisode 3 nous emmène de nuit de Pierrefitte-Nestalas à Luz-Saint-Sauveur.
Au menu, quasiment 30 kilomètres de montée d’affilée, entrecoupée de 2 descentes de 15 minutes avec :
- un faux-plat montant jusqu’à Cauterets (ça, c’est ce que je pensais !)
- l’ascension du col de Riou
- l’ascension du col de Lisey, puis de la Caperette
- une descente de 1650 mètres de dénivelé négatif jusqu’à Luz, en passant par Aulian qui accueille la station de Luz-Ardiden
A la base de vie de Pierrefitte, une fois de plus mes parents me font une assistance 5 étoiles. Je n’ai à m’occuper de rien et c’est très confortable. Ils me diront plus tard que j’avais très bien préparé les différents arrêts. Certes, mais l’équipe que nous formons est redoutable et je repars 45 minutes plus tard refait à neuf.
La nuit jusqu’à Aulians… la lente descente aux enfers (GRP km 108)
Le faux-plat de Cauterets
Je repars comme je suis arrivé, avec un super moral. Je suis seul sur cette voie verte qui longe la route de Pierrefitte à Cauterets. La nuit est douce et seuls quelques passages de voiture me sortent de mes rêveries. Pour casser la monotonie, j’alterne course et marche jusqu’aux premières lueurs de la ville.
Il faut que vous sachiez qu’à cause d’un glissement terrain survenu la semaine précédant la course, les organisateurs ont dû revoir tout le tronçon de nuit. Chapeau bas pour être arrivé à s’adapter aussi vite ! N’empêche que ce que j’avais reconnu 10 jours plus tôt n’est plus d’actualité et je n’ai plus de points de repère. J’ai juste retenu que l’on allait avoir une montée interminable et que l’on en sortirait au levé du jour.
La (mauvaise) surprise
En arrivant à Cauterets, j’avais vaguement noté qu’on allait en faire le tour avant le ravitaillement mais j’avais mal analysé le tracé. Et notamment je n’avais pas anticipé les 400 mètres de dénivelé que j’ai attaqué trop fort dans le brouillard. J’arrive en haut défoncé et j’ai bien du mal à courir. Donc j’ai bien du mal à contenir ma tendinite.
Le balcon qui suit est interminable dans cette brume humide qui brouille ma vue et la descente ne me laisse aucun répit : il pleut, ça glisse et c’est technique. J’arrive en bas avec cette impression d’avoir bu la tasse alors que j’aurais pu l’éviter en étant plus prudent. Je suis énervé, signe de fatigue chez moi. Il serait sage de s’arrêter mais je n’ai pas sommeil, alors, après une courte pause, j’enchaine sur le col de Riou avec l’espoir de calmer cette douleur et piquer un petit somme ensuite à Béderet juste après le col.
J’aime bien cette montée dans les bois. Elle est tranquille. Je suis seul. J’entends du bruit en contrebas. Des gens reprennent du terrain. Ils parlent fort et j’ai un besoin impérieux de silence alors je mets un peu de gaz pour maintenir l’écart et préserver cette bulle de calme.
La (bonne ?) surprise
Au bout d’une heure, je sors de la forêt avec mes 2 virages d’avance et là stupeur ! Le spectacle est incroyable ! Sous un ciel étoilé intense se dresse devant moi un mur de lucioles balayant l’espace en lignes de droite à gauche et de gauche à droite. Je réalise que ce sont les frontales des coureurs devant moi. Certaines sont très haut dans le ciel. Je réalise également le dénivelé qu’il reste à gravir, c’est impressionnant. Le vent se lève et me saisit. J’ai froid. Vite ! Me couvrir et repartir.
A intervalles réguliers, j’entends un claquement brutal de ferraille qui vient rompre la symphonie du vent balayant le versant. Ca vient du haut. La première luciole est très loin devant moi. Derrière, mes poursuivants se sont arrêtés. Je n’ai plus de repères. Entre féérie du spectacle et monotonie des longues lignes droites en biais, la lassitude m’envahit.
J’arrive à mon tour vers cette porte en fer parquant les estives en altitude. Je me fais un malin plaisir à la claquer à mon tour, comme pour signer mon passage vers le sommet.
Béderet (GRP km 101)
Je bascule au col de Riou avec un grand soulagement. La fatigue me submerge. Le versant de Luz est inondé de brume. Je tourne la tête à droite et vois des fils de frontales entremêlés dont je ne comprends pas le sens. En contrebas, le petit halo doré du restaurant Béderet perce à peine des nuages, signe de délivrance. Je me sens comme la chèvre de Monsieur Seguin qui regarde avec regret son havre de paix. A moins que ce ne soit avec envie… Tout est confus. Je n’avance plus. Chaque pas réveille la douleur. Je suis épuisé. Il est grand temps de m’arrêter.
Arrivé à bon port, le bâtiment est fermé et nos hôtes nous accueillent sur la terrasse. Quelques rares transats sont occupés par des coureurs ensommeillés et emmitouflés de la tête au pied. L’air est vif et n’invite pas à l’abandon dans les bras de Morphée. Je tente de m’allonger sur un banc humide, mais l’étroitesse et la dureté de la planche ont raison de mes velléités : je ne dormirai pas ici.
Une soupe au vermicelle plus tard, je lève la tête et n’en crois pas mes yeux. La file de frontales s’élève brutalement jusqu’au ciel. J’ai devant moi l’épouvantail de la nuit : l’enchainement col du Lisey – col de la Caperette. Les débats vont bon train :
Combien de temps pour rejoindre le sommet ?
Combien de temps pour atteindre Aulian, le prochain ravitaillement ?
Au pays de la brutalité
Le col du Lisey (GRP km 103)
Sur le papier, ça a l’air simple : 700 mètres de dénivelé en deux temps pour rejoindre le col de la Caperette avec deux murs d’un kilomètre chacun. Les calculs sont simples, ça fait 35% de pente en moyenne. Ouch !
Il est 4h30 du matin. Je n’ai pas envie mais ça ne sert à rien de reculer l’échéance. Il faudra y passer de toute façon.
Les premiers pas dans la pente sont terribles. Un champs de patate à 40% avec des appuis rendus précaires par l’humidité ambiante. La visibilité une fois de plus est faible et on distingue mal le balisage suivant. Tant mieux car chaque apparition enfonce un peu plus le moral dans les tréfonds des chaussettes. Je réduis ma fréquence à 30 pas par minute. Je souffle fort… mais pas autant que le type qui a emboité mes pas et qui est au bord de la syncope.
Une telle intensité d’effort va me faire exploser le cardio, c’est sûr ! Un coup d’oeil à la montre… 134.
QUOI ? On peut monter un mur sans que le coeur ne cille. Waouh !
Je prends conscience que la fréquence cardiaque ne veut plus rien dire et me concentre sur ma respiration ample et profonde pour la maintenir dans des proportions raisonnables.
Le col de Lisey arrive plus vite que prévu. J’en souris finalement. Et dire que Cauterets repose 1000 mètres plus bas dans l’autre vallée. Si proche et si lointaine à la fois.
Le col de la Caperette – altitude 2350 (GRP km 104)
Une très courte descente ne me laisse pas le temps de reprendre mes esprits que se présente déjà la dernière rampe. La même que la première mais cette fois dans du gravas typique des pistes de ski. Les appuis ne sont pas stables et je perds pied plusieurs fois. Merci les bâtons de me permettre un ancrage fiable ! J’ai parfois l’impression d’avoir en main des piolets que j’arrime dans le sol avec force. Merci aussi mes bras pour tenir encore le choc et me permettre de me tracter à chaque pas.
Le type devant moi donne l’air de suffoquer. Une envie pressante le fait se soulager là où il est. En plein milieu de la piste. Pourquoi pas après tout ! Chaque mètre est tellement couteux qu’il faut aller à l’essentiel
Cette montée est interminable. Seule consolation : nous venons de passer au-dessus des nuages et le ciel est magnifique. Je ne m’en rend pas vraiment compte, mais je double du monde. Ça aide à découper ce gros gâteau indigeste en petites parts. Juste se concentrer sur l’autre devant soi, puis, une fois rattrapé, sur le suivant, et ainsi de suite. Le col apparaît enfin, fade comme un départ de piste de ski.
La dégringolade sur Aulian
La bascule est terrible. La pente est la même vers le bas et commence pour moi une nouvelle épreuve : contenir la tendinite avec des cuisses bien émoussées alors qu’il faut affronter une verticalité insensée. Pas le choix, il faut y aller. M’engager en posture RECV en serrant les dents. Des tous petits pas très rapides pour rester debout et laisser partir sur les 650 mètres de dénivelé négatif. Je suis le seul à courir. Je ne vais mettre que 30 minutes pour couvrir la distance.
Une nouveauté toutefois : je sens un petit point dur à l’intérieur du genou gauche. J’ai tellement forcé la dernière heure et demi que ça doit être une contracture. J’ai emmené une crème à base d’arnica. Je m’en ferai un massage à Aulian. Le soleil pointe son nez sur les crêtes.
L’oasis Aulian (GRP km 108)
L’accueil au ravitaillement est magique. Sur une bande-son très pop-rock, mes hôtes m’invitent à m’installer au chaud pour déguster des succulentes crêpes au Nutella. L’espace est suffisamment vaste pour que chacun s’étale sur une table prévue pour 8 personnes. On se regarde les yeux hagards, pas vraiment remis de ce que l’on vient de vivre.
Derrière moi, deux personnes m’intriguent. Ils n’ont vraiment pas l’air jeune. Karen, une anglaise menue et voutée à la mine espiègle et Jean-Paul, les cheveux blancs et le regard alerte. J’apprendrais plus tard qu’il sont les premiers des catégories M5 (plus de 60 ans). La première finira avec une heure d’avance sur moi et le deuxième avec une heure de retard. Tous deux dégagent un mélange de force et de sérénité. Des rocs inébranlables. Des vieux routiers des montagnes. J’éprouve envers eux un très grand respect et un sentiment d’humilité.
Nouvelle désillusion
Ils quittent les lieux 5 minutes avant moi, le temps de regarder de près cette contracture. Je tâte, je palpe. C’est bizarre, ce n’est pas musculaire. Ça couine même.
Punaise, une tendinite… Encore une ! Coincée à l’intérieur du genou ? Mais je connais ça. C’est la patte d’oie…
Un sentiment de découragement s’abat sur moi. Ce n’était pas assez difficile avec un releveur défaillant ! Bon… je sais contenir ça. Par le passé j’en avais déjà eu une et en grimpant les genoux en dedans, j’étais arrivé à l’atténuer et à la faire disparaître.
Je fais les soins qui s’imposent et repars à contre-coeur. Dormir ? A oui c’est vrai Cette chaleur humaine et ce partage entre coureurs m’ont rasséréné. Je n’ai pas sommeil. Dans moins de deux heures, je serai à Luz. Je sais la base être bruyante mais tous les coureurs du 120 seront passés. On sera entre coureurs du 160 et ça devrait être tranquille.
La descente vers Luz-Saint-Sauveur… la fin de l’aventure ? (GRP km 117)
Le soleil levant dissipe les volutes de nuages et la vue sur la vallée est magnifique. Le début de la descente nous fait traverser les virages de la route tortueuse menant à Luz-Ardiden dont Aulian est le camp de base. On alterne entre bitume et hautes herbes. Pour la première fois, j’ai mal en continu, que ce soit au releveur ou à la patte d’oie.
Si je marche, c’est intolérable. Si je cours, ça se calme mais c’est toujours là. Et pas seulement à l’impact du pied sur le sol.
J’en ai marre de courir, mais cette portion du GR10 est assez clémente, alors je m’engage, encore. Les cuisses sont sympas, elles veulent bien jouer une nouvelle fois. Mais je sens qu’elles saturent, même après un bon échauffement. Alors comme d’habitude, je suis le seul à courir et je double, comme à chaque fois.
Je devine les regards soupçonneux des gens que je dépasse. Comme si j’affichais un état d’esprit de compétition à tout prix. J’ai envie de leur dire que je n’ai pas le choix, que c’est vital, mais à quoi bon. Certains, à mon approche, se remettent à courir puis abandonnent quand je les dépasse.
Laissez tomber ! Si vous êtes bien à la marche, restez-y de grâce !
La machine se déglingue
Parfois, je dois franchir un rocher ou une racine et avec la vitesse, je manque de m’étaler. Impossible de lever le genou sans hurler. Que c’est douloureux ! Je suis coupé en deux. Ma partie droite est juste fatiguée alors que la gauche s’enflamme un peu plus à chaque pas.
La traversée des charmants petits villages de Grust et Sazos est un calvaire avec leurs pentes goudronnées. J’arrive enfin en bas en 1h30. Une demi-heure de plus gagnée sur mes prévisions, mais c’est le cadet de mes soucis. J’appelle mes parents car je suis tellement en avance qu’ils sont encore au petit-déjeuner. Pas grave. De toute façon, je compte m’allonger un peu. Ça calmera peut-être un peu cette angoisse qui monte en moi, à défaut de calmer ces douleurs qui me rongent à petit feu.
La longue route explorant les faubourgs de Luz m’oblige encore à courir. Je réalise maintenant que je boite. Je n’arrive plus à aligner les deux parties de mon corps.
Ca sent le sapin Séb !
La dernière branche à laquelle se raccrocher
Mais je n’arrive pas à me résoudre à abandonner. J’essaie d’être rationnel. A partir de Luz, je connais la fin par coeur. La montée de 700 mètres après la base de vie est raide mais assez courte. En engageant les genoux en dedans, je devrais la tolérer. Ensuite vient un long plat jusqu’à Tournaboup. En alternant marche et course, je devrais m’en sortir. Mon cerveau refuse de se projeter plus loin. Le Néouvielle retour ? De la science-fiction dans mon état.
Je me convainc que je suis capable de surmonter le segment à venir. Et puis j’ai maintenant une marge de dingue sur les barrières. 5 heures d’avance. Je suis même sur des bases de 42 heures. J’en ris jaune tellement ça paraît surréaliste.
Enfin la base de vie
J’atteins la rue principale. La base de vie apparaît à quelques hectomètres. Je prends conscience que je n’ai jamais revu Karen et Jean-Paul. Quelle descente ils ont dû faire ! Respect.
J’entre dans le bâtiment et pénètre dans la salle de repos. Je suis surpris de ne voir personne. En me retournant, je comprends. Un embouteillage bouche l’entrée de la salle des kinés. L’idée me traverse l’esprit de me joindre au tas, puis je me ravise. Dans mon état, ils vont m’arrêter et je veux être le seul maître de mon destin.
Je m’allonge sur l’un des nombreux lits de camp qui quadrillent la pièce et m’abandonne à 10 minutes d’un sommeil lourd et agité, peuplé de masses sombres virevoltant aux tréfonds de ma conscience. Partir loin d’ici juste pour un peu de répit.
La suite de ce GRP Ultra-Tour 2022 dans l’épisode 4 nous conduira à Merlans, le dernier ravitaillement avant la descente finale, après avoir traversé de nouveau la terrible réserve du Néouvielle.