GRP Affiche Ultra Tour 2022

GRP Ultra Tour 2022 – Le debrief

Retour d’expérience sur ce GRP Ultra-Tour 2022 qui, avec ses 165 kilomètres et 10000 mètres de dénivelé, a été de loin la course la plus difficile que j’ai connue.

Le but de cet article est :

  • de décortiquer cette course de manière factuelle,
  • d’expliquer la nature des difficultés rencontrées et comment elles ont été contournées,
  • de voir à froid si les décisions prises à chaud ont été les plus appropriées,
  •  enfin si je devais refaire le match, qu’est-ce que je changerais.

Pourquoi je perçois ce GRP comme mon ultra le plus difficile ?

Commençons par le début. J’ai connu plus long, avec plus de dénivelé négatif et même avec deux nuits passées dehors lors du 100 miles Sud de France en 2019. Et pourtant je le range derrière ce GRP.

Je vois deux raisons à cela :

  1. mon état de forme pas optimal au moment du départ,
  2. la douleur physique qui m’a accompagné sur les trois quarts du parcours.

L’état de forme

Pour le premier, j’y reviendrai plus loin, mais c’était aussi le cas en 2019 et pourtant tout s’était remis en place après 8h de course. Donc ce n’est pas une raison suffisante.

L’échelle de la douleur

Pour le deuxième, le mieux est de mesurer l’échelle de cette douleur tout au long du parcours. Sur l’image ci-dessous, j’évalue le ressenti de cette douleur sur une échelle de 0 et 10 .

Je précise que j’ai un rapport presque pathologique avec la douleur. J’ai appris dès mon plus jeune âge à en faire abstraction et ça m’a joué des tours par le passé. Notamment en 2016, j’ai couru 50 kilomètres sans broncher sur une entorse sérieuse de la cheville et j’ai dû attendre un an pour pouvoir recourir.

GRP Echelle de douleur
Intensité de la douleur durant le parcours

Si je devais tracer, le même profil pour le 100 miles, je mettrais des 0 partout. Quant au GRP Tour des cirques et ses 120 kilomètres parcourus en 2018, seule la partie Néouvielle retour mériterait une note entre 3 et 5.

Aussi, quand je mets une note de 10, je parle d’une douleur insoutenable qui arrache cris et larmes et dont on supplie pour que ça s’arrête immédiatement. Pour bien prendre la mesure de ce que j’ai subi (et que j’ai choisi de subir !), je vous propose cet histogramme avec en abscisse l’échelle de douleur et en ordonnée la durée d’exposition cumulée à cette douleur.

GRP Histogramme de douleur

En regardant cet histogramme, on constate que :

  • j’ai tenu une 1,5 heure à subir l’intolérable,
  • j’ai vécu un calvaire à tenter de contenir pendant 5,5 heures une douleur à peine soutenable,
  • alors que j’y étais parvenu les deux heures et demi précédentes.

Au total, ça fait un peu moins de 10 heures à souffrir comme un dingue, soit plus du quart de la course !

J’aurais très bien pu ne pas tomber dans l’extrême du 10 en abandonnant à Tournaboup à 35 kilomètres de l’arrivée. Ou encore arrêter dès que le seuil de douleur était devenu alarmant après 2 heures et demi de descente en arrivant à Luz au 117e kilomètre.

Alors pourquoi s’imposer ça ?

Mon échelle de valeurs

La réponse est à chercher au niveau de l’engagement mis dans cette course et à l’écho qu’elle fait en moi.

Cette course est LE graal après lequel je cours depuis des années. Je ne mets rien d’autre au-dessus dans mon échelle de valeurs. Le lieu, les gens, l’esprit, le défi, le sport lui-même… Tout m’appelle et me parle.

J’ajouterais mon engagement dans le projet « Run to Born » qui consiste à produire un roman fiction dont le héros prend part au GRP ultra-tour (écriture en cours).

Je me devais donc d’y répondre et d’honorer cette invitation à partir en voyage avec moi-même et d’aller vivre ce que mon héros allait vivre de A à Z.

C’est aussi ce qui fait que je prends le départ même si de nombreux signes me montrent que je devrais peut-être m’abstenir.

Run to Born

Le biais d’engagement

La 2e explication est liée et s’explique d’un point de vue neuro-scientifique : le biais cognitif d’engagement.

« Plus je m’engage dans un enchainement d’actions, et plus j’y consacre de ressources, moins je suis enclin à me désengager. »

Ce biais s’est activé avec ma progression dans la course. C’est la logique des files d’attente ou des machines à sous. J’ai engagé trop de ressources pour abandonner là où je me trouve et j’ai développé une aversivité à la perte proportionnelle à l’engagement mis.

Bref, une fois rendu au 120e kilomètre, je ne veux plus abandonner et je vais TOUT faire pour trouver une alternative, même insatisfaisante, à ces problèmes de douleur.

T’étais dans quel état à la fin de ce GRP ?

2 tendinites + le début d’une 3e

On a déjà abordé la question dans tous les sens.

Pour rentrer un peu dans le détail :

  • J’avais un œdème assez conséquent à la base du tibia, au point que le pompier en chef qui m’a rapidement examiné le lendemain a pensé à un érisypèle (infection bactérienne avec inflammation de la partie sous-cutanée). C’est lui qui m’a empêché de marcher normalement.
  • J’avais une 3e tendinite qui s’est déclenchée à la fin de la terrible descente vers le Lac de l’Oule à l’insertion de l’ischo-jambier sur le bassin. Toujours à gauche. Je la passe sous silence dans mon récit car elle est très en arrière-plan des 2 autres. Elle s’est résorbée dès que je suis arrivé à marcher droit.

Masse perdue

700 grammes. Ce qui prouve que j’ai bien géré mon alimentation. Je rentre dans le détail plus loin sur le plan que j’ai suivi et comment je l’ai adapté aux conditions de course.

L’appareil musculo-squelettique

Si l’on s’en tient aux fibres musculaires, j’ai eu des sensations de muscles machés pendant 2 jours mais rien de plus.  Je descendais les escaliers en crabe en engageant uniquement la jambe droite, mais les muscles n’y étaient pour rien. La montée des escaliers se passaient tranquillement.

J’ai pris un comprimé de BCAA toutes les heures, ce qui a eu pour effet de limiter la dégradation protéique, donc de permettre aux muscles, notamment les quadriceps, de rester fonctionnels jusqu’au bout.

Mais pour compenser les divers douleurs, j’ai mis inconsciemment mon corps en torsion jusqu’au niveau des épaules. Ma jambe gauche qui s’affaiblissait avec les kilomètres était soutenue par une partie gauche du tronc restée solide. Inversement, la partie droite de mon tronc s’est affaissée car elle ne soutenait plus l’effort déporté sur ma jambe droite.

Sur la photo suivante prise à Merlans au 150e kilomètre, j’ai la sensation d’être rectiligne alors que l’on voit bien l’épaule droite  plus basse que la gauche. Quant à la colonne vertébrale, on voit l’apparition d’une scoliose de compensation.

GRP Francois Laurens

La conséquence que je dois encore subir aujourd’hui est l’apparition de maux de dos dans les 3 étages du rachis : cervicales, dorsales et lombaires. Depuis la course, j’enchaîne les exercices quotidiens d’étirement et de gainage pour rééquilibrer tout ça mais les progrès sont très lents.

Brûlures sur le corps

A plusieurs endroits sur le corps, j’avais des brulures dues à des frottements répétés. La peau était soit à vif, soit croûtée.

C’est le cas au niveau des électrodes de la ceinture cardio, de la ceinture du short, du passage des lanières au niveau des épaules et au niveau des lombaires et des cervicales. Ces deux derniers sont les plus spectaculaires : imbibé de transpiration dans le dos, mon T-Shirt s’est transformé en éponge à récurer mis en action par les mouvements verticaux  répétés du sac à dos, en particulier dans les descentes.

Sur le moment, je n’ai senti qu’un inconfort qui provoquait des démangeaisons. Mais je mesure un peu plus la galère sur le long terme : impossible de permettre à la peau de se régénérer normalement, même des semaines après. La peau au niveau des cervicales est constamment irritée par les mouvements des cols de T-shirt et des étiquettes. Celle au niveau des lombaires l’est par les appuis contre les dossiers des chaises. Par exemple, il m’est impossible de faire plus d’une heure de voiture sans devoir changer de position et décoller mon dos du siège. La peau ne cicatrise pas complètement.

Le système nerveux

J’aime beaucoup cette partie car le système nerveux est l’indicateur numéro 1 de l’état de fatigue et celui qu’il faut suivre pour savoir si l’on a réellement récupéré d’une course.

Pourquoi ? Parce qu’il pilote le bon fonctionnement de tous nos organes et que s’il est atteint, notre corps ne peut plus fonctionner correctement.

Exemples

  • Si le système sympathique (l’accélérateur) est au plus bas, impossible de réagir rapidement à un stimuli. Nos temps de réponses sont lents et pire, le stress paralysant peut devenir la principale réponse émotionnelle.
  • Si c’est le système parasympathique (le frein), impossible de rester concentré sur une tâche, impossible de tenir une conversation. On n’a alors aucune lucidité sur ce qui nous arrive.

Il existe des moyens de le mesurer. Dans mon cas, j’ai arrêté de le faire car je sais détecter à la sensation l’état de mes 2 systèmes : j’ai pu me remettre rapidement au travail dès la semaine suivante, avec entrain même, même si les temps de réaction étaient quand même affectés, et je n’avais aucune difficulté à assumer l’écoute active d’une heure de coaching.

La fatigue était donc périphérique et non centrale. Une excellente nouvelle !

Les pieds

Pas une seule ampoule. Mais des crevasses au niveau des bases des métatarses, des durillons sur les extérieurs des gros orteils et les flancs du talon. Surtout des pieds qui ont baigné dans l’humidité en permanence et la peau abimée (blancheur et perte de sensibilité).

A noter, une grande sensibilité osseuse et l’impression d’avoir les bases des métatarses écrasées. Je courais en Hoka Mafate Speed 2 réputée pour leur amorti. Je n’ose imaginer l’état des pieds si j’avais chaussé une paire un peu plus spartiate.

L’état psychique

Peut-être la partie la plus intéressante à mon sens : plus envie !

Non pas de rien car j’avais des tas de projets qui émergeaient dans ma tête mais plus envie de retourner à l’ultra. Quand je dis que cet ultra est mon dernier, je le pense vraiment. J’imagine cette course comme mon point final des 100 miles. OK pour retourner un jour sur des distances de maximum 100 bornes mais pas plus. Une sorte de dégoût profond et une envie de repli sur soi, d’introspection. Un besoin de comprendre ce qui s’est passé.

Un mélange aussi de fierté et de culpabilité. Fierté d’avoir été en accord avec mes valeurs de « on abandonne pas tant qu’on n’a pas tout essayé ». Culpabilité d’avoir malmené mon corps aussi loin au point d’en avoir ignoré les signaux d’alarme au moment le plus critique.

Envie de raconter et partager cette histoire mais certainement pas d’en faire un exemple à suivre. D’où ma confusion dans les jours qui ont suivi. Où j’en suis par rapport à moi-même ?

Du coup, j’ai vécu ce tirage au sort incroyable pour la Diagonale des Fous comme un cadeau empoisonné. Aujourd’hui, je ne ferme pas la porte, mais je n’irai à La Réunion que si je trouve un sens à ma participation (cheminement en cours).

Et la préparation de ce GRP, ça s’est passé comment ?

Pas vraiment comme je voulais, vous vous en doutez. Je vous donne le plan de base tel que je l’imaginais et ce qui s’est réellement passé.

Pour rappel, en 2021, je sortais d’une année de rééducation pour soigner une tendinite du tibial-postérieur sur le pied gauche et je reprenais la course en suivant le protocole de la clinique du coureur, à savoir du fractionné course/marche en allongeant progressivement les temps d’effort.

Le plan de base

J’ai construit mon plan en positionnant d’abord les courses de préparation, puis les week-end chocs, et enfin je planifie le D+ que je cherche à atteindre par mois. En janvier 2022, ça donnait ça :

Plan d'entrainement pour le GRP Ultra Tour 2022

L’idée est d’arriver le jour J avec au moins 50000 mètres de dénivelé positif en respectant une progressivité.

J’ai hésité à placer un 100 kilomètres fin juin / début juillet. Et puis est venu se greffer le cadeau pour les 18 ans de mon fils ainé : 5 jours de course d’orientation en Suède. Je ne voulais pas faire que l’accompagner. Je voulais en profiter moi aussi pour en prendre pleins les yeux de l’intérieur. C’est LE graal de tout orienteur, la course à faire un jour. C’était mi juillet et je ne voulais pas arriver démoli. Je me disais qu’il y avait encore pas mal de tronçons du GRP que je ne connaissais pas et ce serait l’occasion de placer une reconnaissance intégrale en 5 jours en début de mois, à mon rythme.

Sur le papier, la montée en charge me paraissait réaliste et même si je partais de 0, je me sentais capable de le faire.

J’ai complété avec :

  • 30′ de yoga au réveil 5 jours sur 7 (comprendre réveil du corps + renforcement),
  • 1 sortie course en tout terrain par semaine si je ne m’aligne pas sur une CO le dimanche, surtout pour bosser l’agilité et la dextérité,
  • 1 sortie vélo par semaine entre 25km et 40 km pour travailler la puissance et la VO2Max.
  • 1 sortie longue par semaine de 3 à 4 heures en montagne en mode rando-trail si je n’ai pas de course ou bloc prévus.

Les péripéries

Comme tout plan, ça ne se passe pas comme prévu, mais pas au point que je l’imaginais. Je vous donne le déroulé ici :

Plan d'entrainement pour le GRP Ultra Tour 2022

Arrêt de la course à pied

La montée en charge côté course à pied est une vraie souffrance. Les sensations ne sont pas là et l’envie non plus. A 4 jours du trail de Bruniquel, je fais une séance de fractionné de type 10 fois 30 »/30 ». Je n’ai même pas le temps de finir le premier aller/retour qu’une vive douleur me stoppe net. C’est une contracture au mollet. J’ai stoppé à temps pour éviter le carnage, mais impossible de recourir.

Annulation de ma participation au Trail de Bruniquel. 2 semaines d’arrêt. Je reprends en suivant le protocole de la Clinique du coureur en alternant marche et course. Je parviens à m’aligner sur le Trail du Rouergue qui a les mêmes mensurations mais là encore, je suis sur la défensive. La course ne passe pas. Pas moyen d’accélérer sans avoir le mollet droit qui durci. Je décide d’arrêter la course à pied dans sa forme traditionnelle. Je me contenterai de trottiner en montagne et de faire l’andouille en forêt avec les courses d’orientation, bien plus ludiques à mes yeux.

Accumulation du D+

Un peu inquiet de mon état de forme, j’accumule les sorties montagne en semaine (je passe au 4/5eme sur cette période) et me fait la reconnaissance intégrale du parcours du Trail du Mourtis, très esprit montagne avec des parties roulantes bien circonscrites. J’arrive avec un bon niveau de confiance sur l’accumulation de la charge en D+. La course elle-même se passe bien. Je récupère très vite et continue ma montée en charge. Ce qui explique des mois d’avril et mai très au-dessus de mes prévisions. Rien d’alarmant, juste des voyants qui sont tous au vert.

La récupération du Trail d’Hautacam fin mai est un peu plus longue et j’arrête d’aller en montagne pendant 2 semaines. Juste faire du vélo pour le plaisir. Plutôt que de me faire un nouveau week-end choc, je décide de remplacer ça par le Trail des 3 Pics fin juin. Mais ma tête est ailleurs, en pleine préparation de cette reconnaissance intégrale que je prévois de faire 2 semaines après (logistique, intendance, sécurité…).

Le plan déraille

Sauf que je reviens du T3P avec un pied gauche qui a doublé  de volume : un érisypèle. Le temps d’aller voir le médecin et ma jambe était infectée des orteils jusqu’au mollet. A traiter de toute urgence avec des antibiotiques avec l’impossibilité de poser le pied par terre. 2 semaines d’arrêt et l’annulation de ma reconnaissance la mort dans l’âme.

Juste le temps de me remettre sur pied et je pars pour O’Ringen en Suède. Je suis hors de forme. Je n’ai plus fait de course d’orientation depuis 2 mois. Les automatismes ne sont pas là, je n’avance pas, je termine dans les 10 derniers tous les jours mais je suis content d’être là et de voir mon fils exploser au niveau international. Une vraie satisfaction au final !

Fin juillet. Retour de Suède. Je n’ai plus accumulé le moindre mètre de D+ depuis le T3P un mois auparavant. Le temps presse. Je me reprogramme cette reco intégrale… Et je reste cloué au lit avec une bronchite carabinée. Mon père m’incite à passer un test antigénique. Bingo ! C’est le Covid. Plus de force, plus de jus pendant 10 jours. Arrêt complet de toute activité.

Mon calvaire prend fin le 10 août. Je reprends vie, mais c’est la panique. Le GRP est dans 3 semaines et je suis une loque. Je me donne jusqu’au 15 août pour tenter quelque chose et prendre ma décision quant à ma participation. Un 100 miles, ce n’est pas rien. Ça ne sert à rien d’y aller si je ne tiens pas debout. Je parviens à me trouver une petite place dans un camping à Barège sur les flancs du Tourmalet. Je progresse de jour en jour et je rentre chez moi avec une impression mitigée.

Trail du Mourtis après le Col d'Artigascou

Le 15 août, je fais le bilan…

Les points positifs
  • Les cuisses tiennent le choc.
  • J’arrive à enchainer les journées.
  • J’ai avalé la distance et le D+ de la course en 5 jours.
  • Je ne suis pas démoli à l’issue de cette semaine.
  • J’ai trouvé une répartition du poids dans le sac à dos qui ne me flingue pas le dos.
  • J’ai troqué du vieux matériel qui a lâché en cours de route (poche à eau trouée, pile du cardio HS, short déchiré) contre du neuf.
Les points négatifs
  • Je n’avance pas en côte (je me suis fait doubler par tous les futurs coureurs en reco).
  • J’ai eu une inflammation alarmante sous le pied gauche le 3e et 4e jour.
  • Je n’ai aucun point de repère sur la 1ere côte dont je sais la barrière horaire plutôt serrée.

La base est là pour me permettre de prendre le départ, mais la confiance n’est pas au top. Il reste encore beaucoup de points d’interrogation. Je m’en réfère à mes techniques de préparation mentale pour faire pencher la balance (voir paragraphe suivant).

La préparation mentale

Je me suis rappelé pourquoi je m’étais inscrit : « je préfère abandonner sur le 160 que terminer le 80« . J’avais classé les courses de mes rêves et le GRP 160 arrivait en 1 sur la liste. Je préconise à tous mes coachés de se présenter sur la ligne de départ, même quand tous les voyants ne sont pas au vert, ne serait-ce que pour prendre de l’expérience et revenir l’année suivante en étant armé d’une connaissance que les autres n’ont pas.

Je me suis appliqué ce précepte en me demandant à partir de quel point de la course je considérai avoir « fait le job ».

Dans ma tête je voulais voir le Pic du Midi. Et puis j’avais reconnu la traversée des 4 cols jusqu’à Hautacam et elle ne me paraissait pas insurmontable. La suite est une grande descente jusqu’à Pierrefitte et là on a fait la moitié de la course.

Le minimum du minimum était d’atteindre le marathon en arrêtant au plus tôt à Sencours retour après avoir grimpé le Pic. Malgré tout, je pense que j’aurais été déçu. Considérer un arrêt à Pierrefitte avait plus de sens et me paraissait plus « consistant » et en phase avec le niveau que j’avais atteint. Je décidais que ce « mid-point » serait le contrat d’objectif que je me donnais à réaliser.

GRP Ultra Tour 2022 Le profil zoomé de La Mongie à Pierrefitte

Ainsi, le gâteau me paraissait plus digeste et je retrouvais des couleurs.

Restait le point d’interrogation du passage de la toute première barrière-horaire à Merlans.

T’as géré comment ce GRP Ultra-Tour ?

Le plan était de tout faire à la fréquence cardiaque et de ne jamais passer le seuil lipide/glucide, dit aussi seuil d’endurance (70% de la réserve de fréquence cardiaque). Dans mon cas, ça correspond à une fréquence cardiaque de 150.

Donc le plan de marche était ultra simple : ne jamais dépasser 150 au cardio.

Cette fameuse première montée au Col de Portet

En chiffres, ça donne 15 kilomètres et 1500 D+ / 200 D- à faire en 3h20. Sur le papier, c’est jouable si on ne s’endort pas.

Le problème, c’est que dès le départ, j’ai toutes les peines à ne pas emplafonner ce seuil. C’est pas nouveau chez moi, sauf que :

  1. Je suis lâché par tout le monde si je respecte le plan à la lettre,
  2. Je suis pile sur le temps prévisionnel du dernier coureur à chaque point du road-book.

Du coup, je joue avec les limites, je répartis mes efforts et exploite les moindres replats pour relancer. Je ne m’autorise aucun arrêt, même pas pour uriner, pas le temps…

J’avais remarqué que les calculs de progression sur la dernière partie du col était vraiment optimiste. Je pensais sincèrement reprendre du gras sur la redescente au-dessus d’Espiaube avant d’attaquer la partie finale, histoire de me mettre à l’abri. Perdu ! Je prends conscience à mi-pente que si je ne passe pas la seconde, la course serait terminée à Merlans au 15e kilomètre. Ça m’a obligé à passer presque à l’autre seuil, le seuil lactique (85% de la réserve de fréquence cardiaque), soit 180 de pulsation cardiaque. Le truc qu’il ne faut surtout pas faire pour durer en ultra.

Je me suis calé au 2e seuil pendant 30 minutes… Et j’ai mis 3 heures à m’en remettre !

GRP Ultra Tour 2022 Le profil zoomé de Vielle-Aure à La Mongie

Au bout de 10 heures de course

On change de paradigme : le cardio plafonne et il s’agit maintenant de préserver l’appareil musculo-squelettique. Et là, trop tard puisque j’attrape cette fameuse tendinite du releveur qui va m’accompagner jusqu’à la fin.

Je vous dirais en tant normal qu’à ce stade-là il s’agit d’être prudent en descente pour préserver ses fibres musculaires et pousser un peu en montée pour maintenir le corps en action. Je n’ai pas eu le choix que de m’engager dans chaque descente pour maintenir la douleur à un niveau soutenable. Merci le solide travail de renforcement au niveau des quadriceps, sinon je n’y serais pas arrivé.

La dissymétrie des appuis au sol

Les inflammations, je vous en ai assez parlé comme ça. Par contre, je ne vous ai pas évoqué l’impact sur la foulée et donc sur la consommation énergétique de l’ensemble, loin d’être optimale. Je vous ai parlé plus haut de la scoliose compensatrice pour maintenir l’édifice debout.

Je vous propose un angle d’attaque un peu différent avec le graphique suivant :

Equilibre du temps de contact au sol au GRP Ultra Tour 2022

Comment ça s’interprète ?

En abscisses, vous avez le kilométrage et en ordonnée la répartition du temps de contact au sol entre droite et gauche. Plusieurs leçons à retirer de ce graphique :

  • J’ai naturellement un appui plus long à droite qu’à gauche, donc un côté droit plus fort (plus de petits points orange en-dessous qu’au-dessus), et ce dès le début. On pourrait dire que je suis parti avec un équilibre 50,5%D / 49,5%G.
  • Je tiens à peu près l’équilibre jusqu’au 100e kilomètre et pourtant j’attrape ma tendinite dès le 50e kilomètre, ce qui prouve que la mise en place de la posture en RECV fonctionne bien et n’impacte pas la foulée.
  • On voit deux artefacts (pics rouge vers le bas) au 60e et au 90e kilomètre qui correspondent aux descentes du col de Bareilles et à l’arrivée sur Cauterets, deux descentes courtes, techniques et pentues dans lesquelles j’ai eu du mal à rester bien en place.
  • Du 110e à l’arrivée, l’équilibre se déplace à 52%, voire 52,5% à droite en moyenne avec 2 zones de bérézina complète (mouchetages rouges vers le bas) : je vous le donne en mille… La descente de 2h du col de la Caperette à Luz-Saint-Sauveur et la traversée du Néouvielle retour, avec des pics à 60% à droite.
  • Enfin sur la dernière descente des 10 derniers kilomètres, je suis aussi complètement bancal mais je ne m’en rends même plus compte.

L’hydratation

Je vais juste vous donner quelques chiffres.

Pour la boisson, je prenais systématiquement 1 verre de coca et une soupe aux vermicelles à chaque ravito, même au premier. Et je vidais le contenu de mes 2 bidons que je n’avais rempli que d’eau, soit 1,5 litres d’eau toutes les 4 heures environ. Ça donne :

  • Soupe : 4 litres
  • Coca : 3 litres
  • Eau : 15 litres

Attention : la météo était vraiment favorable le premier jour. On a eu droit à de la fraicheur et du crachin quasiment toute la journée. Ce n’était pas le cas le deuxième jour où la chaleur est apparue dès 10 heures du matin jusqu’à 18 heures (consommation accrue en liquide).

Sur un ravito

La nutrition

J’avais prévu de manger des sandwichs au pain de mie avec tranches de comté et jambon blanc à chaque ravitaillement. Ça a été le cas pendant 17 heures jusqu’à la base de vie de Pierrefitte et puis je me suis vite lassé. Je n’arrivais plus à mastiquer. Au final, j’en ai mangé 4.

A chaque fois que je voyais mes parents, je mangeais environ 250g de purée de patate de douce. Je les ai vus 4 fois. Ça fait environ 1 kilo ingurgité.

J’avais prévu des barres de type CliffBar. Pour les mêmes problèmes de mastication, j’en ai avalé que 6 sur toute la course. Les pâtes de fruit étaient beaucoup plus assimilables et le sucre ne m’a jamais trop dégoûté car j’en ai pris assez peu au total. J’en ai mangé une quinzaine sur les différents partiels.

Je prenais un comprimé de BCAA par heure pour limiter la dégradation protéique (voir plus haut). Ça fait 38 comprimés.

Parmi les petits plaisirs que je me suis offerts sur les ravitaillement :

  • Un bol de purée à Sencours retour.
  • 2 crêpes au Nutella à Aulians.

Les pieds

Après avoir suivi le protocole que je décris ici pendant les 2 mois d’été, je me suis badigeonné de crème NOK à chaque fois que j’ai vu mes parents (La Mongie, Pierrefitte, Luz, Tournaboup) et j’ai changé à chaque fois de chaussettes et de chaussures.

Pourquoi ? Parce que :

  • Les pieds macèrent dans l’humidité et qu’un simple massage leur redonne vie.
  • Ils sont vraiment sales et les nettoyer permet de prévenir des éventuelles ampoules, inflammations ou infections.
  • Les chaussures aussi ont pris cher (boue, chocs, poussière…).
  • Parce que ça fait du bien au moral de repartir avec des pneus neufs !

Au final, ça a très bien marché : pas une ampoule !

Le matériel

Je vous fais ici une liste du matériel que j’ai emmené avec moi. Gardez en tête que trouver le bon réglage prend des mois et que les improvisations de dernière minute sont souvent source de mise en difficulté.

Ma tenue

Quand je marque plusieurs items, le surplus est soit avec mes parents, soit dans les sacs de délestage à destination des 2 bases de vie.

  • Chaussures : 5 paires de Hoka Mafate Speed.
  • Chaussettes : 5 paires de La double de chez Thyo.
  • Manchons de compression en haut et en bas.
  • Shorts : 2 cuissards simples de chez Décathlon.
  • T-Shirts : 5 sous-vêtements de rugby de chez Décathlon.
  • Buffs : 10 buffs glanés sur les courses.

Côté technologie, j’ai embarqué une montre Garmin forerunner 920 et sa ceinture cardio.

Et j’ai trainé tout au long de la course mes fidèles bâtons Black Diamond Distance Z-Poles, pliables en 3 brins.

Le sac

Je fais confiance depuis 2018 au sac Raidlight Ultra Olmo 12 litres avec ses 2 bidons de 750 ml.

Je vous passe tout le matériel obligatoire, il suffit d’aller voir le règlement pour ça. A noter le choix d’une frontale Armytech avec recharge USB dont je suis ravi.

J’ai ajouté :

  • 2 batteries externes :
    • J’ai rechargé une fois la frontale, 2 fois la montre et 2 fois le téléphone.
  • Un Camelbak rempli avec 0,5 litre en réserve au cas où, dont je n’ai pas eu l’utilité.
  • Une petite pharmarcie : Doliprane, antihistaminique, NOK, pansements, Citrate de Bétaïne.

Au total, j’en avais pour 4,5 kgs, eau comprise.

Les 2 sacs de délestage

J’ai fait simple. Dans chacun d’entre eux :

  • 1 paire de chaussures.
  • 1 paire de chaussettes.
  • 1 t-shirt.
  • 4 buffs.
  • 4 barres CliffBars.

Les lunettes

Pourquoi je vous en parle ? Parce que je suis bigleux et que la crasse dans laquelle on baigne me fait difficilement tolérer les lentilles sur de si longues distances. Du coup pas le choix, on garde les lunettes.

J’ai opté pour des lunettes de sport à ma vue qui se teinte avec la lumière.

Elles ont toutefois deux inconvénients :

  • Elles ont de l’inertie

Pas forcément grave quand on sort d’un sous-bois. On est juste un peu ébloui au début, puis la teinte des verres s’ajuste en même temps que l’on accommode et le tour est joué. Beaucoup plus problématique dans l’autre sens : mes verres sont trop sombres et ça devient limite dangereux car je ne vois plus les détails du relief. Je suis tombé plusieurs fois à cause de ça.

  • Elles prennent la buée

J’ai eu la « chance » d’avoir en reconnaissance les mêmes conditions que le jour de la course. L’eau ruisselait sur mes lunettes et la buée s’était durablement installée. Et là c’est la galère car je n’ai plus d’autre choix que d’enlever mes lunettes et de n’y voir clair qu’à 2 mètres. J’ai résolu en partie le problème en passant un coup de lingette anti-buée (trouvée chez un opticien) au départ et à chaque base de vie et je n’ai jamais eu de buée.

Par contre j’ai dû faire avec le ruissellement de l’eau sur les verres. Et là… le premier qui invente des essuies-glace intégrés, je serai son meilleur client

Les changements de dernière minute dans le parcours du GRP Ultra-Tour

Je voudrai finir avec ça car ça a eu un impact sur ma préparation mentale.

Peu avant la course, l’organisation a annoncé 2 changements majeurs :

  • le premier dans la voie d’escalade du Pic du Midi à cause de travaux sur la voie historique, obligeant à se rabattre sur le GR et à allonger la distance (annoncé un mois avant).
  • le deuxième dans le cheminement de Pierrefitte à Aulian, soit les 35 kilomètres à faire de nuit (annoncé une semaine avant).

Les tableaux de passage selon les sources d’information n’étaient pas toujours à jour et j’ai eu beaucoup de mal à décortiquer les subtilités des nouveaux tracés et leurs impacts sur le kilométrage, le dénivelé et les barrières-horaire. Autant pour le premier changement, je suis retombé sur mes pattes et j’ai remarqué que le cadeau de 30′ de rabe fait au sommet du Pic du Midi était résorbé « au fil de l’eau » sur les tronçons suivants. Autant sur le deuxième, je suis allé trop vite et j’ai sous-estimé le tronçon Pierrefitte-Cauterets que j’imaginais très facile.

Profil nuit du GRP Ultra Tour avant modification
Avant
GRP Ultra Tour 2022 Le profil zoomé de Pierrefitte à Luz
Après

Pourquoi un impact sur le mental ?

Parce que je me suis mal représenté ce contournement de Cauterets et je me suis engagé trop fort à un moment où il aurait mieux valu que j’en garde sous le pied (la suite était dodue). Il a fallu presque une demi-heure dans la montée sur le Col de Riou pour que je retrouve un peu de calme et que j’apaise mes nerfs.

Conclusion

Est-ce que les décisions prises à chaud ont été les plus appropriées ?

Hormis la mauvaise représentation mentale du parcours de repli, j’ai toujours eu la sensation de maitriser ce que je faisais et d’agir en toute conscience. Je me suis toujours senti lucide dans mes choix. Même dans cette première montée quand j’ai sorti le plan Orsec, je savais exactement où j’en étais.

Si je devais garder un seul mot : maitrise. C’est la base de la confiance en soi : je sais que je risque de prendre la vague mais je sais que je suis équipé pour faire face et que je saurai sortir le bon outil au bon moment. Et c’est ce qui s’est passé.

Si je devais refaire le match, qu’est-ce que je changerais ?

Rien

En fait non, ce n’est pas vrai (mais c’est mon côté perfectionniste qui parle).

Je savais que ce serait très tendu dans cette première montée. J’aurais dû me garder une journée de plus dans ma reco pour tester cette montée et étalonner ma vitesse ma rapport à ce fameux temps de passage du dernier coureur. Je me serai alors aperçu qu’il me fallait lisser le sur-effort sur toute la montée et pas mettre plein gaz sur la dernière partie.

Ensuite, j’aurais pu prendre le temps de regarder sur une appli comme Openrunner la nouvelle variante de nuit et d’évaluer les passages que je ne connaissais pas avec les traces GPS de personnes ayant déjà parcouru ces zones.

Enfin, quant à la gestion des tendinites, j’ai beau le retourner dans tous les sens, je ne changerais pas grand-chose : moins d’engagement avant Cauterets, idem après Luz…

Mais en aucun cas je me dis que j’aurais dû abandonner. J’ai fait ce que je devais faire. Parce que c’était écrit.

Avatar Séb

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