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La route 3404 – Luchon Aneto Trail – le debrief

Le 26 août 2022, je terminais le Grand Raid des Pyrénées version ultra tour sérieusement blessé et je m’étais fait la promesse que ce serait mon dernier ultra. Le lendemain lors de la remise des prix, je gagnais un package complet pour participer à la Diagonale des Fous à la Réunion. Quel drôle de coup du sort ! Il m’a fallu du temps pour accepter l’idée de replonger corps et âme dans une nouvelle préparation. J’ai connu un tournant psychologique en mai dernier et je suis dorénavant pleinement investi pour aller à la rencontre de mon destin en octobre prochain.

J’avais choisi 2 gros morceaux en guise de course de préparation : le Luchon Aneto Trail version 65k « la route 3404 » le 8 juillet et le Grand Raid des Pyrénées version 85k « le Tour des Lacs » le 26 août. Mon intention était de les faire sans bâtons pour me mettre dans les mêmes conditions que la Réunion.

Je suis allé au bout du premier non sans mal. L’objet de cet article est de vous donner un débriefing de cette course et de vous expliquer pourquoi ce n’était pas gagné d’avance.

Pourquoi la marche était très haute sur La route 3404 ?

Avec ou sans bâtons ?

J’avais pris une claque dans ma préparation avec un lumbago contracté en mai qui m’a contraint à l’arrêt complet pendant quelques semaines. En juin je retrouvais (presque) toutes mes capacités et décidait de faire d’abord un week-end choc dans les environs du Pic du Midi de Bigorre en compagnie de mon ami Nicolas des Running Yogis qui m’a remis en selle. Merci à lui 🙏

Puis 2 semaines plus tard, j’enchainais ce que je pense être l’un des KV plus difficiles des Pyrénées – le Pic rouge de Bassiès depuis Artigue – avec le lendemain l’ascension du Pic du Gar par tous les versants (un de mes terrains de jeu favoris).

De ce mois de remise à niveau, j’en ai tiré une leçon : je n’avais pas assez de force dans les reins et les hanches pour passer mon prochain objectif montagne sans bâtons. Trop lent, trop physique, trop dur. La sagesse me dictait de les prendre pour la Route 3404.

Bien m’en a pris !

Le parcours du Luchon Aneto Trail « La route 3404 »

Luchon Aneto Trail 3404 - Profil altimétrique
La route 3404 – profil altimétrique
Luchon Aneto Trail la route 3404 - le parcours
La route 3404 – le parcours

Le parcours de la Route 3404 consiste grosso modo en un aller-retour entre Luchon à 630 mètres d’altitude et le Pic de Mulleres en Espagne à 3009 mètres avec deux ravitaillements / barrières-horaire à prendre dans les deux sens au milieu :

  • Hospice de France à 1385 m.
  • Le plateau de la Besurta à 1920 m.

Le parcours présente de nombreux atouts comme :

  • Le Port de Vénasque qui marque le passage de la France à l’Espagne avec une vue incroyable sur le massif de la Maladeta et le Pic d’Aneto.
  • La balade d’approche du sommet du jour sur le plateau verdoyant et ruisselant de torrents de la Besurta.
  • La vue à 360 degrés au sommet du pic de Mulleres et son impression de pouvoir toucher l’Aneto à seulement 3 kms à vol d’oiseau.

Rien que pour son aspect touristique et ce sentiment de marcher sur des traces historiques, le parcours de la Route 3404 vaut le détour.

Avertissement : c’est un parcours engagé avec des passages aériens sur des plaques granitiques parfois délicates à franchir, notamment dans l’ascension du Mulleres. Sujets au vertige ou genoux fragiles s’abstenir.

Zoom sur les barrières-horaire de la route 3404

Luchon Aneto Trail la route 3404 - Barrières horaires
La route 3404 – les barrières-horaire

Pour comprendre pourquoi la marche est haute, on va regarder …

La 1ere BH à Hospice de France

Luchon – Hospice  = 2h45 pour gravir 1250D+ et 500D- en 15 kms.

C’est challenging parce que :

  1. C’est la BH la plus serrée de tous les parcours du Luchon Aneto Trail qui empruntent ce tronçon. A titre d’exemple, l’ultra-LAT et ses 85 kms ont une BH réglée à 3h, tout comme la Vénasque avec ses 45 km. 15′, ça change la vie ! Ca aurait permis à tous les concurrents de la passer par exemple. Pourquoi les organisateurs l’ont-ils réglé à ce point au cordeau ? Ils ont sûrement une bonne raison.
  2. J’ai déjà emprunté plusieurs fois cette montée. J’ai un record à 2h35 à une époque où j’étais nettement plus affuté qu’aujourd’hui et j’avais mis 2h45 lors de ma participation à l’ultra-LAT 2018. Ce jour-là, je n’avais pas eu le sentiment d’amuser le touriste.

Maintenant un coup d’oeil à…

La 2e BH à Besurta

Hospice – Besurta = 2h45 pour gravir 1000D+ et 500D- en 10 kms.

Un peu moins de D+ en nettement moins de kilomètres que le 1er tronçon. Ça veut dire, grimper bien plus fort pour atteindre 2400 mètres d’altitude. Donc plus de difficulté à respirer et le début de la caillasse.

J’ai cette chance d’être réglé comme du papier à musique quand je grimpe une longue ascension. A part mon record à 1h45 toujours à cette fameuse époque faste, mes 3 autres tentatives ont été bouclées en 2 heures pile. Au moins je sais à quoi m’attendre à condition qu’aucun grain de sable ne vienne s’en mêler.

Ça laisse 45′ pour descendre les 500D- de cailloux jusqu’à Besurta et prendre le temps de se ravitailler. Là encore, va pas falloir s’endormir les amis !!

La 3e BH à Besurta retour

Besurta aller – retour = 6h pour gravir 1150D+ et 1150 D- en 17 kms.

Sur le papier, rien d’effrayant sauf que :

  • Les chronos des participants de l’an passé qui ont fini la course en 16h30 (la BH) donnent une montée en 3h et une descente en à peine moins.
  • On parle des Pyrénées espagnoles de 2000 à 3000 mètres. Ça devrait être technique à souhait : du caillou, du caillou et encore du caillou…
  • On aura déjà 2500 mètres de D+ dans les pattes quasiment avalés d’une traite et faudra enchainer par celle-là. On ne pourra pas compter sur la fraicheur de nos jambes.

Trop d’incertitude sur un terrain que je ne connais pas. Je m’attends donc à un sacré chantier dans les deux sens et à quelque chose comme 3 heures de montée et 2h30 de descente (ouch !)

Le col de Mulleres
Crédit www.camptocamp.org/

Un dernier détail qui a son importance…

> Lors du briefing la veille au soir de la course, les organisateurs nous annoncent qu’ils seront intransigeants quant au respect des barrières. Pas de passe droit. Il en va de notre sécurité.

OK je comprends. Normal !

> Et ils rajoutent que les temps seront pris en sortie de ravitaillement.

Alors là c’est moins cool ! Parce qu’en plus d’être en stress pour atteindre la barrière, à quelques minutes près, on devra peut-être faire l’impasse sur le ravitaillement. C’est d’autant plus dur qu’entre Besurta aller et retour, on a maximum 6 heures. Ce qui veut dire prévoir autour de 3 litres d’eau sur ce tronçon. Si on n’a pas le temps de faire au moins le plein à l’aller, on va droit dans le mur.

Voilà le genre d’infos qui fait bien gamberger. Ca veut dire viser 2h40 dès le premier tronçon, à seulement 5′ de mon record.

Waouh !!!

Je m’empresse de calculer mes temps de passage sur des points caractéristiques de la première montée, histoire de ne pas être pris au dépourvu. Ça donne ça :

Luchon Aneto Trail la route 3404 - Plan de passage pour Hospice aller
La route 3404 – plan de passage pour Hospice aller

La course de la route 3404

Sans surprise, déjà dans le rouge dès Hospice de France aller

Nous étions environ 350 sur la ligne de départ devant le Casino de Luchon à 6 heures du matin.

La question qui circulait sur beaucoup de lèvres : frontale ou pas frontale ? A 6h30, il ferait jour. J’ai sorti la mienne… et je ne l’ai jamais allumée. Mes yeux se sont vite habitués à l’obscurité et le tout début en montée n’est pas technique.

Au départ de la Route 3404 devant le Casino de Luchon

Le premier mur jusqu’à la route

Ensuite pas de surprise sur le départ que je connais bien : on prend 200 mètres de D+ sur un kilomètre dès la sortie de Luchon. Ça part très vite et c’est très facile de se mettre dans le rouge. Puis on quitte la piste large pour plonger dans un mono-trace en profil descendant  avec 2 ou 3 passages techniques qui génèrent des bouchons.

J’ai misé dessus dans ce premier mur en me laissant décrocher de 50m pour rester en contrôle. J’ai bien joué le coup : j’ai rattrapé le peloton quand le bouchon s’est fluidifié. Résultat : 0 attente et un effort lissé. Trop fier de moi

J’ai ensuite un bon tempo qui me permet de passer en 40′ à la route, pile sur mon plan initial.

Le long de la rivière de la Pique

Aucune difficulté en apparence. Une magnifique passerelle de 35 mètres de long surplombant la Pique de 50 mètres. Impressionnant.

La passerelle Pequerin qui enjambe la Pique
Crédit : AG/Pyrénées31

On enchaine les relances. Le chemin est gras et je suis dans un gruppetto de 6 personnes avec un bon rythme. Aucun touriste autour de moi. Je me sens en confiance. On est tous très concentrés pour passer cette première barrière.

On arrive au pied de la longue montée en sous-bois et ma montre indique 7h03. J’ai donc 3 minutes de retard sur mon plan. Bizarre parce que je n’ai pas eu l’impression de perdre du temps. Peut-être une erreur dans mon chiffrage initial. Je ne me focalise pas plus que ça sur le moment.

Avec le recul, ces 3′ vont me couter cher. Je pense que j’ai été pénalisé par le terrain rendu très gras et glissant avec les pluies des jours précédents. Au lieu de courir en ligne droite, j’ai fait des zigzagues de contournement pour éviter d’aller au tapis. Ça a quand même couté 3′. C’est cher payé !

La montée en sous-bois

On rentre dans le vif du sujet côté pourcentages. Une jeune femme prénommée Marie prend les commandes du groupe et impose un rythme à la fois régulier et sage. Je regarde le cardio, c’est parfait pour moi. En tout cas, dans les pentes les plus fortes.

Après 3 kilomètres d’ascension, la pente s’adoucit mais Marie garde la même vitesse. Elle a l’air de coincer un peu. J’ai l’intuition qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure. Je me mets devant, j’accélère mais personne ne suit. Les jambes marchent bien. Je suis dans la limite haute de ce que je me m’étais autorisé. Je vois l’heure qui tourne et toujours pas de piste en vue.

Premières inquiétudes. Je passe à la course chaque fois que je le peux et ne m’économise pas.

Virage à droite, la piste apparaît. Regard à la montre. 8h01′. Soit 5′ de retard sur le scénario que je m’étais donné de suivre et surtout 3′ sur le temps de la barrière.

Conclusion : j’ai conservé le retard perdu en bas de la côte malgré mes efforts. Aïe !

Montée vers le plateau de Campsaure

La piste en faux plat montant sur les hauts d’Hospice

Quand tout  est calme autour de soi

Il me reste moins d’une demi-heure pour couvrir les 3 kilomètres qui me séparent du sommet. 10′ au kilomètre sur une piste en faux plat montant constant avec un sac de 5 kgs sur le dos. Pour mon niveau, pas si simple. En tout cas, je n’ai pas 50 solutions : il va falloir courir quasiment en continu.

La vue est maintenant dégagée. J’aperçois un groupe 100 mètres devant moi. Je me dis que si je le rattrape, ce sera gagné. Côté effort, j’entame un peu les réserves et les rejoins 10 minutes plus tard en arrivant sur mon nouveau check-point appelé « virage » sur mon plan.

8h11 à ma montre. Une seule minute gagnée !

Je commence à me dire que j’avais fait une sacrée belle course à l’ultra-LAT en 2018 et qu’il faut hausser mon niveau de jeu pour m’en sortir.

Pas de relâche dans  effort. Je me défais de ce groupe. J’en vois 3 autres en enfilade et me dis que le 3e devrait être le bon. Les sensations sont bonnes mais le cardio est quand même haut. Je prend un risque. On verra bien.

Chaque groupe que je dépasse me paraît tranquille. L’ambiance est à la rigolade. Je pense qu’ils n’ont pas conscience qu’ils vont passer à la trappe. Je rattrape le 3e groupe à 8h25 et le sommet n’est pas encore en vue. Ca commence à être tendu cette affaire.

Sauve qui peut !!!

Pour la 1ere fois, l’un d’eux s’interroge en voyant mon allure déterminée :

– Lui :  Il est encore loin le ravitaillement ?

– Moi : Non, mais on n’y est pas encore.

– Lui : On va pas passer la barrière alors !

– Moi : Il y a un risque en effet…

Et le type se met à détaler comme un lapin en gueulant : « Faut se magner les gars. On ne va pas passer la barrière« . Et là, affolement général. On aurait dit un poulailler voyant débarquer un renard. C’était très drôle

Porté par l’élan, j’arrive à l’entrée de la descente à 8h32, avec une 1′ de retard sur le temps théorique de la barrière. Il me reste 13′ pour descendre 300D- sur 1,5 km dans un sous-bois technique en mono-trace. Pas la situation la plus confortable !

Luchon Aneto Trail la route 3404 - Sébastien MENA
On ne s’économise pas !

La descente sur Hospice

C’est simple. Je l’ai faite à fond !

J’ai doublé tout ce qui était en travers de mon chemin. Et j’ai laissé le cardio s’envoler. Je suis monté à une FC de 180 (j’ai un max à 195). Ma consigne initiale était 150 confort / 160 toléré. Autant dire que je me suis assis sur les consignes.

Lors de mes tentatives précédentes, j’avais mis 15′ pour descendre. Là j’en ai mis 10. Fallait bien battre son record quelque part sinon ça ne marchait pas, hin ?

Le ravitaillement d’Hospice

J’arrive au ravito à 8h42 avec la surprise de voir que le temps était pris en entrée. J’ai été à la fois soulagé de savoir que je pouvais maintenant prendre le temps de me ravitailler et en colère contre les organisateurs qui nous avaient donné une fausse information la veille. Je ne me serais pas mis dans le rouge à ce point dans la descente en sachant cela.

Ça c’était sur le moment ! Avec le recul, on ne parle que de 3′, autant dire rien du tout. Et surtout, tout le temps pris à se poser à partir de maintenant venait gréver le capital temps sur le tronçon suivant. Bref, fallait s’engager et il n’y a rien à regretter !

On reste dans le rouge jusqu’à Besurta aller

La montée au Port de Vénasque

La montée au Port de Vénasque depuis Hospice de France
Crédit hautegaronnetourisme.com

Après une telle débauche d’énergie, il me fallait récupérer mais je ne savais pas que ça allait prendre des plombes.

Je fais un arrêt express au ravitaillement, partage mon désarroi avec d’autres coureurs sous le choc d’avoir été pris à la gorge de la sorte et repart avec l’idée de reprendre ma stratégie de gestion sereine.

Problème : je n’ai plus de jus dans le moteur et je plafonne. Au point de me faire doubler par tout le monde. Les serre-files tout de orange vêtus sont deux virages en-dessous dans cette montée du port de Vénasque. J’espère que l’hémorragie va s’arrêter d’elle-même.

Patience Séb ! Il y en a pour 2 heures !

Un gruppetto se forme deux virages plus haut et me prend mètre par mètre. Tel un suiveur du Tour de France, je prends des temps de passage à chaque virage en épingle à cheveux.

30s… 1’… 1’30s… 2’…

La fuite est comme un goutte à goutte réglé au mini. Je ne perds pas grand-chose mais ça reste assez sensible pour ébranler mon moral. Au rayon des bonnes nouvelles, le cardio s’est équilibré autour de la limite haute et je ne ressens pas le besoin de m’arrêter contrairement à la demi-douzaine d’individus qui ont craqué subitement dans le groupe au-dessus et qui se retrouvent scotchés à la pente.

Au bout d’une heure, l’écart augmente jusqu’à 2’30 et se stabilise. Je ne rentrerai jamais sur le gruppetto mais j’avale les zombis trop gourmands un par un. Derrière, les serre-files ont disparu de mon champ de vision. Mais ça ne veut rien dire puisqu’il faut avant tout passer cette fameuse barrière.

Et on bascule en Espagne

La partie finale de l'ascension au Port de Vénasque
Crédit topopyrenees.com
Le Port de Vénasque
Le Port de Vénasque – crédit topopyrenees.com

Je franchis le port de Vénasque en 2h pile et en profite pour me lancer des fleurs sur mes prédictions (on n’est jamais mieux servi que par soi-même ). Les paysages sont sublimes comme à chaque fois mais je n’ai pas vraiment le temps de faire du tourisme. Plongée directe dans la descente avec Caroline en guise de lièvre un virage en-dessous – participante au GRP ultra tour l’an passé pour qui j’avais analysé l’abandon à mi-course – le tout avalé en 35 minutes.

Une courte piste en faux plat montant nous mène au ravitaillement de la Besurta. Et là au moins ils ont tenu parole : le chronométrage est en sortie.

– Une bénévole : Il vous reste 8′ pour franchir la barrière. Dépêchez-vous !!

– Moi : Ah, ah, ah (éclat de rire) ! Large !!!

La montée au Pic de Mulleres : une vraie purge

Une montée qui n’en est pas une…

On se regarde avec Caroline. Y’en a marre d’être sous stress. Je me plains pour la forme, embarque 4 litres de flotte (la peur de manquer) et me remet en marche. M’adressant à elle : « Tu me reprendras dans la montée » (elle monte un poil plus vite que moi).

En fait le piège, c’est que ça ne monte pas vraiment. On pédale dans des monotraces bien techniques qui n’avancent pas. On enchaine les franchissements de cailloux et les traversées de torrent. En montée, en descente. Quelques pauvres mètres de dénivelé gagnés au compteur et toujours pas de pic spectaculaire en vue. Juste un magnifique plateau herbeux à perte de vue et des crêtes à droite et à gauche avec des noms à coucher dehors.

Le plateau de la Besurta
Crédit whympr.com

En fait si et elle fait mal !

Puis vient le moment tant attendu du premier mur couplé avec le croisement du 1er coureur en sens inverse.

Waouh ! Sacrée perf !

C’est cool de s’encourager comme ça. Alors, c’est vrai pour le premier. Mais quand vient la colonne interminable de tous ses poursuivants, c’est déjà moins drôle. C’est même gavant. Je vous passe les traditionnels conseils à deux balles « tu passes la crête et tu y es » ou encore « t’en as pour 1/2 heure, peut-être  3/4 d’heure« , encore plus quand t’as rien demandé. Ou encore quand t’es dans le gaz et que le type qui descend a oublié qu’en montagne la priorité est à celui qui monte et qu’il te bloque le passage. Bref, la proximité génère des tensions. C’est humain et c’est même exacerbé avec l’altitude.

Au passage, beaucoup de torrents traversés avec bon nombre qui peuvent être candidats à refaire le plein des bidons. Si vous vous lancez dans un tel aller-retour et qu’il a beaucoup plu les semaines précédentes, ce n’est pas la peine de trop se charger en eau. Avec le recul, je pense que 2 litres au lieu de 4 étaient suffisants.

Le sommet

Passés 2600 mètres d’altitude, on aperçoit enfin le sommet et ça coupe les pattes. On sort d’une montée de 15 minutes à 30% tout droit sur des plaques de granite rose. Le soleil commence à cogner fort et le vent de face par rafales jusqu’à 50 km/h est assommant. Je commence à avoir les yeux qui se croisent et du mal à aligner des paroles cohérentes. Je me sens pris de vertige. Seule la volonté de ne pas perdre du temps et le point de mire de Caroline encore une fois 2′ devant me maintient en marche.

Le pic de Mulleres à 400 mètres sous le sommet
Le pic de Mulleres à gauche

Les 200 derniers mètres sont un gymkhana informe dans un chaos rocheux. Ça a au moins le mérite d’offrir 1000 passages possibles. Chacun fait sa trace et on ne se percute plus. Arrivé en haut, je fais comme tout le monde : je cherche un petit coin pour m’écrouler et je disparais de ce monde le temps de reprendre mes esprits.

La partie sommitale du Pico Mulleres
Crédit Caroline Roujas

Un coup d’oeil à ma montre : 14h30.

J’éclate de rire. On a mis 3 heures pour faire la montée. C’est à la minute près ce que j’imaginais. Je devrais peut-être me reconvertir en prévisionniste pour coureur de trail en mal de plan de marche

La descente vers Besurta retour

D’abord prendre conscience de la magie du lieu

La vue au sommet est incroyable. On aperçoit l’Aneto sur notre gauche. Il est si près. Le bénévole nous indique aussi le Port de Vénasque d’où l’on vient, mais aussi le Pas d’Escalette qui nous permettra de repasser en France.

Vue sur le pic d'Aneto depuis le pic de Mulleres
L’Aneto à gauche, la Maladeta en centre, le Sauvegarde tout à droite

Ouch ! Il y a un bout à faire encore !

La veille au briefing, on a tous écarquillé les yeux quand ils ont affiché les prévisions météo sur écran géant.

Pic de Mulleres, température ressentie 5°.

QUOI ???

« Le matériel obligatoire n’est pas superflu. Ne faites pas l’impasse sur les vêtements chauds et n’attendez pas d’être gelé pour vous couvrir. »

Dans la montée, j’étais plutôt en mode cuisson que congélation. Au sommet, le vent est saisissant mais pas au point de devoir me couvrir de la tête aux pieds. Température ressentie plutôt autour de 15° (info totalement subjective qui n’engage que moi).

Au sommet du Pico Mulleres avec Caroline Roujas
Le sommet avec Caroline – crédit Caroline Roujas

Le cairn au sommet du pic de Mulleres

Je vois que je récupère beaucoup plus vite que Caroline qui a eu besoin d’enfiler un coupe-vent et qui tremble. Elle a mal aux jambes et redoute la descente. Je ne sais pas si c’est ma prépa ou l’ajout des BCAA dans mon protocole de nutrition mais je sens que ça va plutôt bien le faire.

Il est temps de se remettre en route

Je décide de partir devant et pour la première fois je prends du plaisir dans cette course. Les paysages sont incroyables. Passés les blocs rocheux sur la partie sommitale, j’ai l’impression de surfer sur des vagues roses. Les variations de relief sont très douces et je me surprend à sauter de plaques en plaques. Un vrai bonheur. Les murs atroces en montée deviennent des passages délicats mais joueurs en descente. Je n’ai pas besoin de pousser pour doubler du monde. Il me suffit juste de faire preuve d’un peu de dextérité.

Les plaques de granite rose du pic de Mulleres

Je m’amuse à constater que je ne croise personne. En même temps, normal ! J’ai quitté Besurta aller dans les derniers !

Mon élan est stoppé net en bas de la descente par un passage sécurisé par les organisateurs. Nous attendons en file indienne notre tour pour franchir en rappel sur une corde libre un passage étroit et acrobatique. Certains passent vite, d’autres sont tétanisés par la peur. Pas si simple à vrai dire à ce stade de la course. Je me sens moins habile que je ne le pensais.

Le port de Vénasque vu de la descente du pic de Mulleres
Le port de Vénasque au loin entre les 2 pics du fond – Crédit Caroline Roujas

Le retour sur le plateau de la Besurta est long : une heure à trotter à plat et à contourner les promeneurs désormais nombreux. Beaucoup ne se poussent pas. Certains jouent même à tenir le rythme dans les remontées. Ça ne m’amuse guère.

J’atteins le ravitaillement au bout de 2h15 de descente et le chronométrage a changé de côté pour être toujours installé en sortie.

Le retour vers Hospice de France

Euphorie à Besurta retour

Ce ravito tourne à l’hôpital de campagne. De nombreux coureurs sont allongés dans l’herbe. La décision d’abandon n’est pas facile à prendre pour certains. La navette mettra 2 heures et demi pour rentrer après la fermeture de la course. Autant dire qu’ils iront plus vite en poursuivant la course qu’en attendant là.

Il reste encore une grosse montée à avaler. De là où on est, on en aperçoit presque le sommet. Il est bientôt 17h et le soleil cogne fort. Ca promet une belle cuisson dans la pente.

Je me sens bien, presque euphorique. Juste un petit problème de digestion. Je m’attendais à tourner à la soupe mais ils servent une sorte de crème qui me reste sur l’estomac. Mauvais choix. Même le solide a du mal à passer. Ne me reste que le coca et les fruits frais comme option. Ca ne m’inquiète pas plus que ça. Pour moi la course est finie. Peut-être parce que je vais repartir avec 30 minutes d’avance sur les barrières et que je peux maintenant gérer comme je veux.

Avec le recul c’était assez présomptueux. Caroline est reparti 15′ après moi du ravitaillement et elle a bataillé jusqu’au bout avec les barrières.

La montée en mode cuisson

Pour la première fois, j’apprécie de ne pas avoir à pousser dans la montée. Hormis la chaleur écrasante, je prends le temps d’admirer les paysages. Nous sommes très éparpillés dans cette côte. Je rattrape parfois un ou deux coureurs qui ne sont pas beaux à voir.

– Moi : courage !

– Eux: …

– Moi : Accrochez-vous. On a passé la moitié !

– Eux : …

Plus de son, plus d’image. Les types fixent le sol et avancent comme des automates. Si les jambes n’étaient pas en mouvement, on aurait pu les confondre avec des momies.

Première alarme côté physique, j’ai le psoas gauche qui couine à chaque levée de jambe. Je fais des tests de positionnement de pied mais rien de bien concluant. Il est temps que le D+ se termine.

La descente sur Hospice

La bascule en France au Pas de l’escalette est symbolique. Sur un chemin d’arête large pour une seule personne, deux mondes s’opposent. A droite l’Espagne et ses paysages arides. A gauche la France et ses grandes prairies verdoyantes.

Le pas de l'escalette
Le Pas de l’Escalette – Source tripadvisor.fr
Le pas de l'escalette
Pas de l’Escalette (ancienne carte postale) – Crédit geneanet.org

La descente dans un chemin à vache est plus complexe que je ne me l’étais représentée. La pose de pieds est délicate et la trace est profonde. On peut facilement s’entraver dans l’herbe épaisse et finir à plat ventre. J’ai encore de la dextérité et je suis le seul à courir.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ! Quand on court à 7 à l’heure et que l’on double des trailers à la marche, on a l’illusion d’être de grands descendeurs. J’ai au moins la lucidité de ne pas m’emballer. Il fait de plus en plus chaud en descendant et le plus dur et de maintenir une hydratation correcte. Je contrôle la couleur de mon urine qui commence à foncer.

Séb, finis tes bidons avant d’arriver en bas.

Au port de la Picade, en route vers le Pas de l'Escalette

Le dernier tronçon vers Luchon

Tranquille ou à fond ?

J’arrive à Hospice à l’heure du diner avec une belle foulée et me fait une pause de 10 minutes pour me ravitailler une dernière fois.

Je suis très partagé quant à l’attitude à avoir jusqu’à l’arrivée. D’un côté, j’avoue n’en avoir que faire du classement et j’ai envie de prendre mon temps. De l’autre, je trouverais stylé d’arriver avant la nuit. Je me sens bien. Je laisse l’intuition me guider. On verra bien.

Je pars très tranquillement et me fais dépasser par 5 personnes dans la remontée sur le plateau de Campsaure. C’est décidé, je prendrai mon temps. J’en profite même pour passer quelques coups de fil et donner des nouvelles par messagerie.

A la bascule, je laisse tourner les jambes et sans forcer je reprends un à un les 5 qui semblent à la peine. La série continue dans cette descente. Tout le monde semble tétanisé, alors que la descente se déroule sans peine pour moi. Je mesure la chance d’être dans cet état-là et ne peux m’empêcher d’être un peu gourmand.

Quand y’en a plus, y’en a encore !

Le parcours de la Route 3404 a la particularité de réserver une surprise avant l’arrivée : une remontée de 150D+ par à-coups sur 1,5 km qui paraît anodine sur le profil mais qui fait bien mal aux pattes. Surtout quand on croit que ça se termine en descente. J’en avais gardé des mauvais souvenirs dans mes précédentes courses. Là je décide de passer en mode « Warrior ». Non seulement, je ne perdrai aucune place mais je vais même aller en gratter d’autres.

Et ça a été le carnage : beaucoup se sont faits piégés. Je ne pensais pas doubler autant de monde en 3 kilomètres. Je me sentais bien et j’avais envie de voir ce que j’avais sous le capot jusqu’au bout.

L’arrivée n’est plus donnée devant les thermes mais dans le parc du Casino. Résultat : encore 1 kilomètres de goudron dans les rues de Luchon. L’ambiance est chouette en ce samedi soir et les spectateurs sont nombreux. Je profite de l’élan pris dans la descente pour finir à 12 à l’heure et passer la ligne heureux en 15h15, avec 1h15 d’avance sur les barrières horaire.

A l'arrivée de la Route 3404
Crédit photossports.net

Epilogue

Pour moi la Route 3404 était plus qu’un test.

Elle avait d’abord un sens particulier en lien avec mon histoire personnelle. Je l’avais placé sur ma to-do list depuis quelques années déjà et il me tenait à coeur de lui accorder une place de roi dans mon calendrier.

Ensuite parce que je savais que si je réussissais à aller au bout d’un tel morceau, j’allais acquérir un capital confiance précieux pour les mois à venir. C’était mon premier trail montagne depuis le GRP 2022. Neuf mois sans dossard avec une convalescence au milieu ne m’avaient pas mis dans les meilleures dispositions pour mon projet « road to Diag« .

Conclusion en forme d’avis / conseil sur La route 3404

Je pense que c’est une course très challenging qui demande une sacrée dose de préparation spécifique en montagne. Les montées sont longues, les franchissements sont délicats. Le passage au pic de Mulleres est un monument à plus de 3000m qui se mérite dans les  deux sens. Une belle balade à faire d’ailleurs entre copains en partant du parking de la Besurta.

Et ce qui en fait probablement la course la plus difficile du week-end : des barrières horaires plus serrées que sur les autres courses qui ne laissent pas trop la place aux grains de sable.

Ne pas prendre le départ sur un coup de tête sauf gros niveau physique et technique.

En vous souhaitant de belles expériences de course en montagne ou ailleurs !!!

Avatar Séb

 

 

2 réflexions sur « La route 3404 – Luchon Aneto Trail – le debrief »

  1. Salut Seb
    Merci pour ce récit bien détaillé. J’aime toujours autant vivre tes sensations au fil des ravitos et difficultés du parcours.
    Petite déception de ne pas avoir donné comme toi le dernier coup de cul pour finir mon ultraLAT avant la nuit et avoir pu échanger avec toi sur la ligne d’arrivée.
    Mais la descente depuis SuperBagneres tapait assez fort et j’ai du marcher par moments…
    En plus mon portable s’était bloqué, ayant tapé 3 fois un code PIN incorrect, donc on ne se serait pas retrouvés facilement
    Bon sinon on se revoit quand? avant le GRP?

    1. Salut Séb
      Merci beaucoup.
      Je la connais bien cette descente de Superbagnères. En effet, elle est longue et pas facile à passer d’une traite en courant surtout après tout ce que tu avalé de D+ / D- avant !
      Au GRP, je serai baliseur mardi et mercredi, puis chronométreur à Merlans jeudi et vendredi avant de courir le TDL samedi.
      Si tu restes au buffet du dimanche midi, on pourra se voir là

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